La
Laïcité
"
Comment un croyant et un athée peuvent-ils vivre ensemble, s’ils
ne décident pas que les règles de leur vie commune doivent de
définir hors de toute référence à toute option particulière ? ",
interroge le philosophe Henri Pena-Ruiz (1).
La
laïcité est cette posture partagée qui permet aux membres du
C.L.P.S. d’engager ensemble une lutte pour le respect des droits
humains quelles que soient, par ailleurs, leurs croyances et leurs
engagements. Elle constitue aussi le cadre de général de l’action
menée par le C.L.P.S., association qui s’interdit tout jugement
sur les options spirituelles, qu’elles soient exprimées par des
religions traditionnelles, ou qu’elles émanent de " nouveaux
mouvements religieux " en quête de reconnaissance. Ancrée dans
la laïcité, l’action du C.L.P.S. est menée en référence à la
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et à la Déclaration
des Droits de l’Enfant. L’association a pour ambition de
combattre les groupes sectaires à chaque fois qu’elle aura à
connaître des violations des droits humains : atteintes à
l’intégrité de la personne, séquestration, détournement de
mineurs, non assistance à personne en danger, non respect des lois
sociales, détournement de biens, .... Cette action s’inscrit ainsi
dans la continuité du mouvement laïque, qui s’est toujours
illustré dans la lutte contre le fanatisme, mais aussi par ses
actions d’éducation populaire visant à la formation de citoyens
critiques et émancipés (des citoyens " incommodes " comme
les appelle Henri Pena-Ruiz).
L’idéal
laïque est celui d’hommes libres et égaux, il ne peut se
satisfaire de " maîtres à penser " qui confisquent,
souvent à l’aide de méthodes sournoises, le libre arbitre de
leurs adeptes. Clôturant une conférence donnée à Vesoul en
octobre 1992, Anne Marie Franchi, alors administratrice nationale du
Centre Roger Ikor et Vice Présidente de la Ligue de l’Enseignement,
concluait ainsi : " C’est la nature et la force du lien entre
le gourou et ses adeptes que les laïques devraient récuser avec
force et en priorité. Les moyens d’action, en particulier de
prévention, existent. Encore faut-il les rechercher et les mettre en
œuvre, sans arguties. Souvenons nous de ce propos de M. Moon à ses
adeptes : " Désormais, je suis votre cerveau ". Quel homme
libre peut s’en accommoder ? ".
(1)
Henri Pena-Ruiz, La laïcité pour l’égalité, Editions Mille et
une nuits, 2001
LE
VRAI CHAMP DE BATAILLE
PAR
ROGER IKOR - PRIX GONCOURT (Article rédigé pour "HAUTE-SAONE
CONTACT")
Dépassée,
la laïcité ? Bien sûr qu’elle l’est ! Qui peut en douter ?
Dépassée par débordement, par enveloppement, par grignotage aussi,
et par infiltrations souterraines. Pour le moins quatre-vingt quinze
pour cent de la surface de la terre sont occupés par des Etats qui
font plus que de ne pas la reconnaître, qui l’ignorent, qui n’ont
jamais entendu parler d’elle, et se voilent la face d’horreur
quand on leur en parle.
Car
enfin, qui ne voit que le monde et la mode sont au totalitarisme,
soit religieux, soit politique, soit même linguistique, sont au
particularisme, à l’exclusivisme, au fanatisme : juste le
contraire donc de la laïcité, qui n’a de sens dans l’Etat que
si elle répond, dans la société, à la tolérance, au respect de
l’autre, à la liberté, bref à la démocratie.
En
France même, son bastion, elle est rongée de toutes parts, et ce
n’est pas seulement à la loi Debré que je pense. A vrai dire,
cette loi même est, elle aussi, "dépassée" -mais
dépassée par ce qui la dépasse et qu’elle a encouragé, par le
formidable flot d’obscurantisme qui déferle en ce moment sur toute
la planète, sans naturellement nous épargner. Si on veut que la
laïcité^ au sens précis du terme, cesse d’être un château de
sable que la marée dévore, et redevienne ce qu’elle était à sa
naissance, un môle d’appui pour les offensives de la pensée
libre, alors il faut prendre enfin conscience de l’ampleur du fléau
; et pour commencer, s’élever à hauteur d’histoire.
Le
concept de laïcité ne nous est pas tombé du ciel, comme on sait.
Il a été l’aboutissement ultime de tout un mouvement de
libération de la pensée, né avec la Renaissance, et dont les
premiers efforts ont été submergés dans le sang des guerres de
religion. Il a néanmoins progressé ensuite lentement, au long de
trois siècles, pendant lesquels, pas à pas, la liberté d’opinion
et d’expression s’est affirmée, soutenue par la croissance en
profondeur du rationalisme et de l’esprit scientifique. Alors,
alors seulement, a pu s’imprimer dans la vie publique, et à
l’école en particulier, la mentalité "éclairée" qui
était devenue celle du peuple français dans son ensemble, et qui se
nomme laïcité. Or, depuis l’épouvantable première guerre
mondiale relayée par la seconde, s’est déchaînée une espèce de
panique de l’esprit. Non seulement il a perdu confiance dans les
vertus du progrès et dans ses propres vertus, mais il s’est rue
vers l’arrière, vers les ténèbres viscérales et leurs
rassurantes certitudes. Le premier symptôme, bien mince, mais
annonciateur, a été le surréalisme. Ensuite, comme un incendie qui
s’allume un peu partout, le fascisme a flambé ici, la torture,
qu’on croyait éteinte à jamais, a resurgi ailleurs ; et cependant
ce qui pouvait passer pour la plus "avancée" des
révolutions sombrait dans un sanglant moyen âge ; un cynisme qui se
croyait libérateur, sans vergogne, sans respect pour la raison ni la
morale, mettait des fins paradisiaques au service de moyens infernaux
en se figurant faire le contraire.
Et
aujourd’hui, de quelque côté que nous nous tournions, le paysage
est sinistre, noyé de flammes et de fumée. Je ne puis évidemment
le décrire en son entier. Parlerai-je, au degré le plus anodin, de
cette vogue stupéfiante des superstitions astrologiques, naguère
encore apanages de mystiques demi fous et aujourd’hui largement
reconnues ? Au degré le plus redoutable, il y a les sectes, des
sectes abominables, destructrices, que des esprits légers
s’obstinent à prendre à la légère mais il existe actuellement
quelque cinq cent mille adeptes adultes des plus malfaisantes d’entre
elles ! Quant aux vieilles religions, elles battent de l’aile,
certes ; mais leur agonie ne profite pas à l’esprit de liberté,
tant s’en faut : c’est aux sectes qu’elle profite. Encore
heureux quand elles ne se régénèrent pas, voyez l’Islam de
Khomeiny, en s’abandonnant elles-mêmes à la férocité
sectaire...
Je
supplie les esprits libres de considérer en bloc le problème. Il
n’est pas celui de la seule laïcité. Il faut attaquer
l’obscurantisme entier, sur tous les fronts, de toutes nos forces :
nous sommes engagés dans une nouvelle Renaissance, dans de nouvelles
guerres de religion, et peu importe si elles se couvrent de prétextes
religieux ou politiques. Nous réduire au combat laïque nous
condamnerait à ne mener qu’un combat défensif, en retraite, pour
ne pas dire en déroute ; et là, effectivement, nous serions
dépassés. Réintégré au contraire dans l’ensemble du champ de
bataille, le secteur laïque reprendra son sens. Et du coup, il
retrouvera toute sa vertu, tant stratégique et tactique que
spirituelle. Sa vertu républicaine.
Roger
IKOR.
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