À Arles, Actes Sud, l’éditeur qui a raflé le Nobel et le Goncourt en 2015, a créé “L’école du domaine du possible”. Les élèves ne sont pas notés et n’ont pas de manuels.
L’éditeur
Actes Sud a une définition bien à lui de l’école. C’est un lieu qui
doit permettre à l’élève de «devenir un être épanoui, créatif, autonome,
libre et responsable, ayant acquis la confiance en soi et en l’autre,
pour agir dans un monde où il aura envie de vivre». Et depuis la
dernière rentrée de septembre, cette école, où on apprend aussi le
bonheur, existe. Elle se trouve dans la chapelle du Méjan, un ancien
temple romain, au cœur même du fief arlésien d’Actes Sud. Au bout d’un
dédale d’escaliers, de coins et de recoins où la boussole est
indispensable pour trouver son chemin. Un chemin de culture, jalonnés de
milliers de livres dont on se demande si au fond ce ne sont pas eux les
véritables maîtres des lieux. Autour de ces empilements d’ouvrages, des
gens s’affairent, comme à leur service.
Cette école, Françoise
Nyssen et son mari Jean-Paul Capitani, qui dirigent Actes Sud, l’ont
créée après en avoir rêvée. Ici ni notes ni manuels scolaires, mais un
projet pédagogique basé sur les apprentissages. Ceux de la citoyenneté,
de la vie en groupe, du respect, du dialogue, du jardinage, de
l’équitation, de la musique, de la littérature, et même du tricotage,
une activité qui serait bénéfique à l’agilité mentale.
31 élèves de 8 à 14 ans répartis en deux classes
Évidemment,
Henri Dahan, le directeur pédagogique, et les enseignants ne font pas
l’impasse sur ce qu’ils appellent les "disciplines académiques” (maths,
sciences, histoire, français...). Mais avec leur façon de faire. Par
périodes et par projets. Exemple : trois semaines de cours de géométrie
deux heures par jour avec le même prof, puis pareil pour l’histoire,
l’anglais, l’allemand... et ainsi de suite. Mais tous les ajustements
sont possibles, s’ils sont fondés, car rien n’est figé dans ce qui
pourrait s’apparenter à un corpus gravé dans la pierre.
Ce lieu,
baptisé “L’école du domaine du possible”, accueille 31 élèves âgés de 8 à
14 ans. Scindés en deux classes, une primaire et une secondaire, ils
ont cours de 8 h 30 à 18 heures et déjeunent sur place. Des produits
locaux et du bio. Chaque jour, ils vont aussi dorloter un jardin potager
et monter à cheval. Avec les animaux, les enfants évoluent dans une
sphère de l’intime qui privilégie la “relation” à la “compréhension”.
Pour filer une métaphore qui ne devrait pas déplaire à ses patrons,
Henri Dahan explique: « Les enfants sont les auteurs, et on doit les
éditer. » C’est-à-dire les rendre heureux dans cette école, les extraire
de la pression obsédante de la compétition entre élèves, leur donner
les moyens de se réaliser à leur rythme... « Il faut les intéresser et
leur donner du désir » précise Jean-Paul Capitani, pour qui l’école de
la République est à bout de souffle puisqu’elle « fait souffrir les
élèves et les enseignants ».
Dans la chapelle, qui donne sur une
vaste terrasse qui sert de cours de récré, le mobilier est en bois
clair, des instruments de musique et des chevalets sont posés le long
d’un mur, des livres sont à disposition, et les enfants ont l’air
détendu. Certains sont même joyeux quand vient le moment d’apprendre le
complément d’objet direct à la faveur de l’exemple du poisson que pêche
le pêcheur, ou celui de chanter et de jouer d’un instrument. Ils le sont
aussi quand des auteurs maison vont à leur rencontre, comme notamment
l’Ardéchois Pierre Rabhi.
Françoise Nyssen qui, à l’instar de son
époux, explique que « les neurosciences montrent que l’apprentissage ne
peut pas se faire dans le matraquage et le redoublement mais dans le
désir », est déjà heureuse du bout de chemin parcouru en un seul
trimestre. Parce que le courant passe entre l’équipe pédagogique et les
élèves, et que les sons de cloche qui lui reviennent de cette singulière
chapelle dédiée aux apprentissages sont positifs.
Même d’ailleurs
du côté du recteur de l’académie d’Aix-Marseille qui, selon Henri
Dahan, voit “L’école du domaine du possible” comme « un laboratoire
pédagogique ». Mais si ce “laboratoire pédagogique” a un coût pour les
familles, entre 2000 et 6000 euros par an selon leurs revenus, un fonds
de dotation parraine les moins fortunées. Car tous les enfants sont ici
les bienvenus.
Par Patrice PALAU
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