vendredi 30 septembre 2022

L’idéologie des colibris est-elle soluble dans la laïcité ?

 



Il y a de cela maintenant plusieurs années, nous avions donné pour titre à un de nos documents relatifs à la mouvance de Steiner l'intitulé suivant : « l'anthroposophie un Janus à deux visages ». Nous avions également relevé dans ce document la proximité du réseau affilié à cette mouvance avec celui des colibris, créé par Pierre Rabhi.

Nous exprimions notre malaise en nous gardant de toute pensée binaire et de toute tentation de manichéisme face un courant de pensée qui pouvait mener à des réalisations tout à fait séduisantes, mais qui dissimulait des aspects beaucoup plus déplaisants du moins à nos yeux. Ici, nous notons une porosité troublante, pour des raisons à peu près identiques, entre certains mouvements laïques que nous citerons et les colibris, pour des raisons à peu près semblables : la coexistence entre des aspects susceptibles de séduire et d'autres qui à nos yeux contredisent l'idéal laïque auquel nous nous référons.

Les citoyens français, et notamment les enseignants, connaissent bien la mutuelle d'assurances dédiée à ces derniers, la MAIF. Cette très importante mutuelle, qui rend de grands services à ses sociétaires, et dont nous ne contestons pas l'utilité, bien au contraire, organise des conférences.

La première des intervenantes sur laquelle nous avons mené quelques recherches, c'est Juliette Duquesne, qui a créé la collection carnets d'alerte avec Pierre Rabhi.

Elle a édité de nombreux petits ouvrages accessibles et bon marché, coécrits avec le fondateur de Terre et humanisme. Elle a été invitée à s'exprimer devant le public à la mi-septembre en Haute Saône, et doit réitérer cette prestation au profit de la mutuelle fin septembre à Reims.

Nous ne mettons nullement en  doute la sincérité des disciples de Rabhi. Nous pensons même que parmi nos propres adhérents, nous aurions bien du mal à en trouver qui seraient hostiles à l'idée d'éradiquer la faim dans le monde, ou qui souhaiteraient une régression dans le domaine de l'écologie ! De plus, la conception de l'écologie énoncée par Pierre Rabhi ne nous semble pas faire l'unanimité parmi les militants écologistes.

En revanche, nous pouvons être réservés sur l'incitation récurrente à « faire sa part ». Cela revient à privilégier les initiatives individuelles au détriment d'un effort collectif piloté par des institutions publiques et notamment par l'État. Ainsi a-t-on déjà observé, nous l'avons relaté dans ces colonnes, le fondateur d'une école démocratique à Paris qui estimait, une fois cette école mise en place, avoir fait sa « part de colibri ». Et, en créant en Ariège un « village démocratique », dans lequel chacun versait ce qu'il voulait, soit le RSA, soit des revenus immobiliers, soit rien du tout, où les enfants étaient « mutualisés », il estimait poursuivre la réalisation de cette part du colibri.

Créer des écoles alternatives en concurrence avec l'école publique, est-ce compatible avec notre idéal alors que la MAIF a été créée par des instituteurs laïques ?

La même Juliette Duquesne était invitée à s'exprimer il y a quelque temps devant les élèves d'un établissement secondaire public à Nancy. Ce n'est que notre point de vue, mais nous pensons pouvoir l’exprimer dans nos propres colonnes, la laïcité nous semble consubstantielle à la confrontation de points de vue différents. Ici, inviter soit pour une conférence organisée par des grandes institutions laïques, soit a fortiori devant des élèves dans le cadre du service public une intervenante proche des colibris ne nous semble pas relever de cette volonté de confronter les points de vue de manière à permettre aux auditeurs de se forger leur idée personnelle en toute connaissance de cause.

Mais nous avions promis en introduction à ce billet de ne pas être manichéens. Tenons parole : le site de carnets d'alerte cite Paul Ariès. Ce dernier a déjà coécrit avec Pierre Rabhi, et il est l'auteur d'un ouvrage sur la « simplicité volontaire ». (Un concept proche de la sobriété heureuse ? ). Et, paradoxalement, en même temps, il fut l'auteur il y a une vingtaine d'années de deux ouvrages édités par Golias, l'un intitulé la scientologie, laboratoire du futur, et l'autre l'anthroposophie, enquête sur un pouvoir occulte.

Faisons preuve d'humilité en refusant le manichéisme précisément et en reconnaissant la complexité à laquelle nous sommes confrontés. Il n'y a pas les bons, qui ne se trompent jamais, d'un côté, et les mauvais, toujours dans l'erreur, de l'autre.

Autre conférencier accueilli par la mutuelle: Pablo Servigne. Ce dernier est un auteur, qui a contribué à l'émergence de la notion de collapsologie. Il semble avoir des liens avec le groupe masculiniste Mankind project, ainsi qu'avec extinction rébellion que nous avons évoqué récemment. Pour la mutuelle, il intervient sur l'entraide ; sans doute un thème digne d'éloges, mais derrière la générosité de la démarche de la MAIF, peut-on être certains de la conformité des thèses qu'il exprimera lors de ses conférences avec une démarche laïque ?

Notre cercle laïque pour la prévention du sectarisme a reçu également un signalement concernant une école privée hors contrat laïque comme elle se définit elle-même, dans le département de la Drôme a Anneyron. Sur le site de l'école, les initiateurs se réclament de deux inspirateurs : Pierre Rabhi et Krishnamurti.

Elle se dit également ouverte aux IEF, c'est-à-dire aux enfants instruits en famille. Elle a d'ailleurs organisé des conférences avec André Stern, l'un des promoteurs en France de l'instruction en famille, sur les thèmes suivants : « écologie de l'enfance, un projet de vie » et les « enfants gardiens de nos potentiels ». Elle a également organisé une projection du film « le cercle des petits philosophes » réalisé par Frédéric Lenoir (qui semble-t-il ouvrait les séances de discussions philosophiques pour enfants par des minutes de méditation de pleine conscience ). Sur son site, l'école fait la promotion des ouvrages de Céline Alvarez. Des ateliers, au cours de diverses forums qu'elle a organisées, ont traité des pédagogies de Maria Montessori et Freinet. Précisons que nous citons tous les auteurs qui ont été étudiés au cours de ces forums sans poser nous-mêmes des jugements de valeur !

En principe, n'ayant pas signé de contrat avec l'État, l'école ne peut être financée par fonds publics. Cependant indirectement, elle est en train de recruter un service civique… par l'intermédiaire de la fédération départementale de la Drôme de la ligue de l'enseignement.

La raison d'être de notre association, le cercle laïque pour la prévention du sectarisme, c'est la défense du libre arbitre, la liberté de conscience, de la dignité. Le droit de tout être humain à la santé, avec  un environnement le moins pollué possible est fondamental. Mais il existe encore des débats sur les voies à emprunter pour y parvenir. En tant que militants de la laïcité, nous pensons que la formation du citoyen exige un pluralisme des informations. Les colibris, favorables à l'instruction en famille et à l'instruction à domicile, ont choisi une option, qui n'est certes pas la nôtre, celle de l'école accueillante pour tous les petits Français. Les écoles hors contrat, qui ne sont quand même pas accessibles à toutes les bourses, favorisent un entre-soi que nous ressentons comme aux antipodes de notre idéal, même si nous croyons comprendre les raisons de cette option, et par ailleurs nous respectons ce choix. Le printemps de l'éducation, qui n'existe plus formellement, regroupait notamment les colibris, la fédération des écoles Steiner Waldorf, la revue Kaizen, et, entre autres… l'Office central pour la coopération à l'école, qui regroupe les coopératives des écoles publiques. Nous souhaiterions tant pouvoir en discuter avec nos partenaires laïques !

Mais, rappelons-le, nous ne voulons surtout pas nous poser en moralistes, ni incarner le bien en lutte contre le mal ou la vérité contre l'obscurantisme… nous voulons entamer un débat.





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