lundi 24 avril 2023

Tribune libre : Gilbert Klein, président du cercle : maintenant 40 ans de travail dans la prévention des dérives sectaires.

 

C'était en avril 1983, j'étais administrateur de la fédération des œuvres laïques de Haute Saône. Dans le cadre d'actions de sensibilisation sur le thème de la laïcité, j'avais été chargé d'inviter Roger Ikor, qui venait de créer le CCMM. Il était donc venu, le jour même de la sortie de son second livre sur le sujet, « la tête du poisson ». L'essentiel de son intervention a d'ailleurs été retranscrit et publié dans ces colonnes. Durement éprouvé par le suicide de son fils qui pratiquait le zen macrobiotique, c'était un homme extrêmement chaleureux, au contact très facile. Mais le drame qu'il avait subi suscitait de la véhémence dans les propos et dans les idées. Il avait demandé au cours de sa conférence au public s'il n'y avait pas de limite à la liberté (dans le premier opuscule publié par son association, il concluait par un appel à dissoudre quelques sectes parmi les plus dangereuses).



Quelques années après, je faisais la connaissance de l'abbé Jacques Trouslard. Alors que Roger Ikor était vice-président de l'Union rationaliste, Jacques était chanoine. On pouvait ressentir entre les deux hommes, dans leurs conférences, bien des points communs. La même véhémence, mais aussi la même chaleur humaine qui nous manque tant ! Jacques ne s'en cachait pas, il souhaitait que soit votée une législation spécifique et que la secte soit définie en droit (à cette époque, on parlait plus de sectes que de dérives sectaires).


J'ai moins connu Jacques Guyard, qui fut député et rapporteur de la commission parlementaire « sectes en France ». Pour avoir lu et relu ce document, une différence d'approche est perceptible. Il y a plus de distanciation. Une législation spécifique serait considérée comme contraire à la laïcité et aux principes républicains. Parmi les préconisations, un organisme étatique de surveillance. 


Cette préconisation sera suivie par la création de l'Observatoire interministériel des sectes, qui deviendra la Mission interministérielle de lutte contre les sectes, puis la Miviludes actuelle.

Une petite note personnelle: en 1995, il me fut proposé de rédiger une thèse juridique sur le phénomène sectaire. Ce fut l'occasion de confronter le sectarisme aux traditions juridiques françaises et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Une recherche longue et difficile sur plusieurs années permet de relativiser le problème, de prendre du recul, et de ne solliciter des pouvoirs publics… que ce qui est légal et constitutionnel. Un exemple concret : ne pas reprocher un maire de prêter ou de louer une salle municipale à un mouvement sectaire, alors que, nous le savons il s'exposerait à un contentieux devant le juge administratif.

De ces quarante ans, j'ai acquis une conviction profonde. Face au sectarisme qui a pu mener à des horreurs, nous pensons aux massacres collectifs de l'ordre du temple solaire, des morts car il y en a eu, aux abus sexuels (pensons aux enfants de Dieu), il faut dépasser dans le contexte actuel le cadre de l'indignation et de la colère. Le phénomène sectaire à muté. Ce ne sont plus dans de nombreux cas des groupes organisés et connus qui attirent notre attention. L'emprise n'en existe pas moins. Ce sont des thérapeutes autoproclamés sans compétences académiques, des prêcheurs sur Internet, des petites communautés dont il est difficile de savoir si elles vivent en autarcie ou si elles s'intègrent dans la société, que nous rencontrons. Un monde plus gazeux.

La colère dans ce contexte me semble contre-productive. Nous ne devons pas être les purs, les sachants qui incarneraient le bien en lutte contre le mal. N'affichons pas de certitude mais posons plutôt des questionnements. Le jugement moral peut occulter les vraies problématiques.

Quelques exemples concrets : les témoins de Jéhovah sont parfois accablés de noms d'oiseaux. Mais à quoi bon ? Les individus sont-ils par nature plus mauvais que d'autres ? Il vaudrait mieux je pense essayer de réaliser, de se rendre compte des conséquences de leurs comportements: préférer exposer un enfant aux conséquences potentiellement mortelles d'un refus de transfusion, ou s'exposer soi-même: comment l'indvidu peut-il en arriver là? Essayer de comprendre, c'est déjà franchir une étape.

Dans le même registre, un autre exemple, seuls les plus âgés d'entre nous peuvent se souvenir d'un couple de disciples de Sahaja yoga. Malgré, rappelons-le, l'hostilité du responsable français de cette mouvance à ce projet, un couple de disciples avait décidé d'expatrier leur enfant vers une école sur les contreforts de l'Himalaya. Avertis par leur petit-fils qu'il n'allait pas bien, les grands-parents avaient porté plainte… contre leurs enfants. Le couple fut condamné non pas pour manque de soins (cela aurait signifié qu'il se désintéressaient de leur enfant) mais pour « manque de direction » Ils n'avaient pas pris leurs responsabilités dans l'éducation de leur enfant, ils s'en étaient démis au profit de la « mère divine » qui dirigeait le groupe.

Et pour ce qui est de la mouvance de Rudolf Steiner… nous n'allons pas revenir sur les dissimulations et sur les atteintes à la vérité, par exemple pour faire court l'affirmation que la NEF aurait été la partie gagnante d'une procédure en droit de la presse qu'elle avait en fait perdue.

Dans chaque cas, il faut se poser, c'est du moins la conclusion que personnellement j'ai tirée de ces quatre dizaines années d'action, la question de la dissonance entre les valeurs des groupes que nous étudions et celles de la société globale. Point n'est besoin pour cela de s'en prendre aux personnes. Même si c'est plus difficile, mieux vaut à mon sens privilégier l'argumentation et le raisonnement que céder à l'émotion ou à la passion. Et surtout proscrire la haine.

Par ailleurs, toujours dans la même optique de respect des individus (qui n'empêche absolument pas la contestation des méthodes) j'ai toujours l'impression, non pas d'essayer de nuire à des individus, mais de défendre les droits de l'homme et la dignité humaine. Et celle-ci n'est pas divisible. Pour reprendre l'exemple des témoins de Jéhovah, je me suis énormément intéressé aux contentieux et aux procédures administratives, notamment en Norvège et en Belgique, à la suite desquelles le refus, qui n'est pas infirmé par leur presse, de continuer à fréquenter les membres de la famille qui renieraient leur foi serait constitutif d'une discrimination au sens des traités internationaux. Même si je pense viscéralement que tel est le cas, que cette intolérance serait… intolérable, je ne me verrais pas revendiquer à leur encontre des mesures répressives qui ne sont pas prévues par la loi. Le droit, tout le droit, mais rien que le droit.

J'ai encore le souvenir d'un militant, maintenant décédé, qui, il y a peut-être une trentaine d'années, me disait que je n'aurais sans doute pas la même réflexion si j'avais été victime ou parent de victime. Je me souviens avoir pensé que précisément, ne pas être concerné personnellement permettait un recul, donc une parole plus forte. Mais avec le temps j'ai aussi pu constater que d'anciens disciples pouvaient avec le temps prendre plus de hauteur dans le débat, de la même façon que des personnes que  la problématique n'avaient pas atteintes personnellement pouvaient également adopter une posture d'indignation et de colère.

En conclusion, mes lignes directrices après quatre décennies de recherche et de militantisme : 

-reconnaître la complexité, 

-chercher toujours la nuance. 

Ceci n'est qu'un témoignage personnel.



mercredi 12 avril 2023

ATTENTION AUX PRATIQUES DE SOINS "NON CONVENTIONNELLES" avec la DGCCRF

 




Sous le titre « attention aux pratiques de soins non conventionnelles », la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a publié sur son site un compte rendu d'une enquête qui a été menée les années précédentes auprès de thérapeutes délivrant des soins hors de la médecine conventionnelle. Nous vous donnons ci-dessus le lien vers le compte rendu complet de l'enquête. Nous invitons nos lecteurs à suivre ce lien et à lire le compte rendu dans son intégralité, et ce d'autant plus que cette page donne accès à des informations concernant le coaching et le bien-être. Une information d'autant plus importante que c'est en grande partie du fait de ses soins prodigués par des personnes dépourvues d'un cursus universitaire ou professionnel dûment validé par l'État que l'emprise mentale se développe à l'heure actuelle.

Ci-dessous un large extrait de ce rapport d'enquête.


Après une première enquête réalisée en 2018, la DGCCRF a lancé une nouvelle campagne de contrôles dans ce secteur, entre octobre 2020 et septembre 2021. Le champ des investigations a été étendu par rapport à la précédente enquête et c’est ainsi près d’une cinquantaine de disciplines différentes qui ont été contrôlées, des plus connues comme la naturopathie ou la réflexologie, à certaines plus rares comme les guérisseurs Reiki ou des pratiques revendiquant une action sur les ondes ou les flux d’énergie (« access bars », thérapie « quantique », « biorésonance », « géobiologie », magnétisme…). Les contrôles ont été menés auprès des professionnels et des centres de formation à ces disciplines afin de vérifier l’exhaustivité de l’information délivrée aux consommateurs et la loyauté des pratiques commerciales.

Les services de la DGCCRF ont relevé un taux d’anomalie de 66 %, à peine inférieur à celui issu de la précédente enquête menée en 2018 sur un nombre plus restreint de pratiques, principalement pour des faits de pratiques commerciales trompeuse ou des défauts d’information précontractuelle, illustrés ci-après.

Dans la majorité des cas, pour les manquements les moins graves et relevant davantage d’une méconnaissance de la réglementation que d’une volonté de tromper le consommateur, il a été fait le choix d’opter pour des avertissements, particulièrement dans un contexte de baisse voire d’arrêt de l’activité entraîné par la crise sanitaire. Cependant, pour les manquements les plus graves, des suites correctives (injonctions de mise en conformité) voire répressives (procès-verbaux) ont été adoptées.

Une confusion sur le statut professionnel et des allégations trompeuses

  • L’environnement :

Certains praticiens sont installés à proximité ou au sein même de lieux de santé (maison de santé, cabinet médical pluridisciplinaire…). Cette proximité, sans plus de précision sur la non appartenance au corps médical du praticien est source de confusion pour le consommateur.

Par ailleurs, certains professionnels n’hésitent pas à reprendre les « codes » médicaux, créant un doute dans l’esprit du consommateur sur la nature de la prestation :

  • présence des plaques devant les lieux d’exercice ;

  • recours à un logo ressemblant à un caducée ;

  • exposition d’ouvrages médicaux dans les salles d’attente ou le lieu de consultation.

À noter que le référencement de ces praticiens dans des annuaires dédiés aux professions médicales ou paramédicales contribue à induire en erreur le consommateur sur le contenu et la finalité non thérapeutique de leurs prestations.

  • La communication

Bien qu’il ressorte de l’enquête que ces professionnels sont parfaitement conscients de ne pas appartenir au milieu médical, certains d’entre eux usent abondamment dans leur communication de termes et expressions en rapport avec la santé et les maladies alors même que leur utilisation est encadrée par le code de la consommation (« sont réputées trompeuses, au sens des articles L. 121-2 et L. 121-3, les pratiques commerciales qui ont pour objet : […] 16° D'affirmer faussement qu'un produit ou une prestation de services est de nature à guérir des maladies, des dysfonctionnements ou des malformations »).

Des discours encourageant ouvertement au renoncement aux soins traditionnels ont été relevés à l’instar du site internet d’un prétendu « libérateur d’entités » qui attribuait les symptômes de la grippe aux « toxines rejetées quand les chakras commencent leur expansion ». Des allégations concernent même la prétention à guérir des pathologies comme le cancer, le sida ou la dépression.

La présentation de certaines pratiques comme permettant de traiter des maladies en lieu et place des traitements conventionnels reconnus, est d’autant plus grave qu’elle peut entraîner une perte de chance d’amélioration ou de guérison des personnes malades de pathologies lourdes susceptibles de se détourner de leurs traitements médicaux.

Les pratiques commerciales trompeuses représentent environ les deux tiers des infractions relevées par voie de procès-verbal pénal. En complément, plusieurs signalements pour exercice illégal de la médecine et usurpation de titre ont été transmis aux autorités compétentes, un dossier sur le recueil abusif de données personnelles à caractère médical a été transmis à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), et plusieurs signalements ont été transmis à l’URSSAF et à l’administration fiscale.

L’influence de la crise sanitaire

Certains professionnels se sont adaptés aux restrictions imposées par la crise sanitaire en proposant des séances à distance. Cette modalité leur permet de toucher un public plus large.

Certaines pratiques interrogent cependant comme, par exemple, la réalisation de séances de Reiki (il s’agit d’une méthode de soin japonaise non conventionnelle appartenant à l'« approche énergétique ») à distance, via une photographie ou une application de messagerie instantanée, alors que le principe de cette pratique repose à l’origine sur le toucher. Des professionnels proposaient également des séances de réflexologie à distance.


mardi 4 avril 2023

Les évangéliques à la conquête du monde. Documentaire sur Arte

 


Comme il nous le faisons à l’occasion, nous avons plaisir à informer nos lecteurs de la diffusion, par Arte de cet incontournable documentaire.

Trois séquences de 52mn.

Réalisation Thomas Johnson – France États-Unis - 2023

Disponiblesur le site Arte-tv jusqu’au 09/06/2023.

Les évangéliques à la conquête du monde.

De la guerre froide à nos jours, l'expansion de l'évangélisme a favorisé l’émergence d’un fondamentalisme chrétien dans nombre de pays.

Présent sur tous les continents, le mouvement évangélique, en rapide et constante expansion, compte aujourd'hui quelque 660 millions de fidèles

En trois volets, cette enquête fouillée dévoile les rouages d'une redoutable machine politico-religieuse décidée à étendre son empire sur les consciences.

1. La grande croisade

Premier volet : remontant au XVIe siècle, aux racines d'un phénomène à la fois omniprésent et méconnu, ce premier volet en retrace la genèse et la mutation décisive qui intervient en 1942, avec la fondation de la National Association of  Evangelicals américaine, qui entend reconquérir la société. Avec la guerre froide, le prédicateur Billy Graham va donner à cet objectif un formidable élan. Sillonnant le globe au fil de « croisades » anticommunistes d’évangélisation, il galvanise des meetings géants au service des présidents conservateurs, d'Eisenhower à Nixon.

2. Les évangéliques au pouvoir

Deuxième volet : dans les années 1970, sous l'égide de figures américaines plus radicales, comme le télévangéliste Jerry Falwell ou le théologien Francis Schaeffer, l'influence d'une droite chrétienne intransigeante, arc-boutée sur la défense des valeurs familiales rigoristes, favorise en 1980 l'élection de Ronald Reagan.

La lutte contre l'avortement devient le fer de lance du combat évangélique contre la sécularisation de la société. Quarante ans après, les élections de Trump et Bolsonaro, en 2016 et 2018, illustrent la puissance du mouvement, notamment au Brésil, qui fut longtemps la plus grande nation catholique au monde.

3. Dieu au dessus de tout ? Troisième volet : le 6 janvier 2021, certains des insurgés qui prennent d'assaut le Capitole prient et brandissent des pancartes se revendiquant de Jésus. Les évangéliques partisans de Trump exportent leur combat en Europe et en Israël, convaincus par leur compréhension millénariste de la Bible que le Christ est sur le point de revenir en Terre sainte.