jeudi 3 octobre 2019
Adieu à la Miviludes
La presse annonce aujourd'hui que la Mission interministérielle de
vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) sera
rattachée au ministère de l'intérieur au début de 2020. Que l'on ne s'y
trompe pas, il s'agit en réalité d'une disparition. Le président de
cette institution, Serge Blisko, n'avait pas été remplacé après son
départ, en 2018 et l'on voyait bien que les services du Premier
ministre, auxquels était rattachée cette institution, avait tout
simplement décidé de la laisser mourir.
Rappelons que le droit français ignore la notion de secte et ne connaît
que
les "dérives sectaires", c'est à dire les pratiques illégales. La loi
About-Picard du 12 juin 2001 ne fait pas référence à la dimension
religieuse des groupements, qui peuvent donc professer n'importe quelle
croyance. Certains attendent les extra-terrestres, d'autres un nouveau
messie, d'autres enfin prétendent guérir toutes les maladies par le
remède universel du potage aux légumes. Les "dérives sectaires"
n'interviennent que s'ils commettent des infractions, qu'elles soient de
droit commun comme l'escroquerie, la fraude fiscale et le blanchiment,
l'abus de faiblesse, ou spécifiquement créées par la loi de 2001 comme "le fait de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique" de leurs adeptes.
L'information est inquiétante, car la Miviludes était l'instrument
essentiel de la lutte contre les dérives sectaires, issue d'une loi
adoptée à l'unanimité à la fois par l'Assemblée nationale et le Sénat.
Longtemps présidée par Georges Fenech, la Miviludes apparaissait ainsi
comme une institution consensuelle. En dépit d'un bilan positif, en
dépit du fait qu'elle était parvenue à s'élever au-dessus des clivages
politiques, la voilà éliminée d'un trait de plume par un gouvernement
qui, en l'espèce, ne recherche guère le consensus, et ne se donne même
pas la peine de justifier clairement sa décision.
Les succès de la Miviludes
La Miviludes a été créée par un décret du 28 novembre 2002. Ses missions consistaient à "observer et analyser le phénomène des mouvements sectaires dont les agissements sont contraires aux droits de l'homme", à favoriser l'action préventive et répressive et, à cette fin, à développer l'échange d'informations entre les services.
Service interministériel, la Miviludes devait donc nourrir la réflexion
des pouvoirs publics et dégager des perspectives de coopération. L'un de
ses apports essentiels à la lutte contre les dérives sectaires a été la
diffusion de rapports, qui étaient autant de mise en garde, attirant
l'attention des pouvoirs publics sur des mouvements considérés comme
dangereux.
Ces mouvements ne s'y trompaient d'ailleurs pas et n'hésitaient pas à
contester une inscription dans le répertoire des mouvements susceptibles
d'engendrer des dérives sectaires, répertoire géré par la Miviludes.
Dans un arrêt du 7 novembre 2018, le Conseil d'Etat confirmait ainsi la légalité d'une décision de son président refusant de retirer la "fasciathérapie" de ce répertoire,
On doit ainsi mettre à l'actif la condamnation de la Scientologie pour
escroquerie en bande organisée, condamnation confirmée par la Cour de cassation le 16 octobre 2013. Ce groupement vendait en effet, fort cher, à ses adeptes, une mystérieuse machine baptisée
"électromètre" censée leur permettre d'accéder à la sérénité en se
libérant des éléments mentaux négatifs.
Tout récemment, le 24 septembre 2019,
on a appris que la Miviludes avait ainsi informé les autorités sur un
essai clinique "sauvage" pratiqué dans une abbaye près de Poitiers, sous
l'autorité d'un Fonds Soeur Josefa Menendez dirigé par un
médecin notoirement connu pour ses positions hostiles à la vaccination.
Cet essai illégal d'une molécule prétendument efficace contre certaines
affections neurologiques a suscité plusieurs signalements à la
Miviludes. Celle-ci a prévenu l'Agence du médicament, qui a mis fin à
cette étrange expérimentation.
Quelques jours plus tard, on apprend donc que la Miviludes disparait,
bien entendu sans que cette décision ait aucun lien avec les résultats
de la Mission.
Les justifications
Le ministère de l'intérieur se fonde sur "la nécessité (…) de partages de compétences avec d’autres organismes
qui n’existaient pas lors de sa création, comme le secrétariat général
du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) par exemple ».
Selon le ministère, la Miviludes et le CIPDR partagent «
un point commun important qui est la lutte contre les nouvelles formes
de radicalité et les phénomènes d’emprise et d’enfermement ». Etrange
pratique qui consiste à détruire un service interministériel pour mieux
le rapprocher d'un autre service interministériel.
Sur le fond, l'argument ne saurait convaincre. S'il est vrai que la
Miviludes apportait un éclairage intéressant sur les processus de
radicalisation qui s'apparente en effet à une aliénation sectaire, rien
ne lui interdisait de travailler avec le CIPDR, comme elle travaillait
avec le fisc, avec les magistrats, avec la police, avec les
collectivités locales, avec les établissements d'enseignement etc. Mais
ses missions ne se limitaient pas à la radicalisation, loin de là. Elle
était aussi présente sur d'autres fronts des dérives sectaires, et
notamment sur celui du recensement des mouvements dangereux.
Derrière ces justifications peu convaincantes se cache sans doute une
autre réalité. Force est de reconnaître que les mouvements sectaires
s'installent désormais plus facilement en France, avec le soutien plus
ou tacite des pouvoirs publics.
Le cas de la Scientologie
Prenons l'exemple de la Scientologie, mouvement très connu et condamné
par la justice française. Nul n'a oublié qui Nicolas Sarkozy, ministre
de l'économie et des finances, recevant Tom Cruise dans son ministère en
2005, reconnaissait avoir "parlé de Scientologie". Nul n'a oublié la loi du 12 mai 2009,
dans laquelle avait été introduit un amendement interdisant de
dissoudre une secte pour escroquerie, au moment précis où le parquet
demandait que soit prononcée la dissolution de la branche française de
la Scientologie. Heureusement, le Sénat a annulé cet amendement par un
autre, ajouté à un projet de loi sur la formation professionnelle, mais
trop tard pour permettre la dissolution du mouvement. Nul n'a oublié
enfin, que l'Eglise de Scientologie a désormais pignon sur rue, son
siège français installé en plein coeur du quartier d'affaires de la
Plaine-Saint-Denis. Début 2019, la Miviludes avait rappelé que ce
mouvement "se caractérise par son prosélytisme […] à l'occasion d'un test de
personnalité gratuit, de la diffusion de tracts ou de brochures, de
conférences « d'introduction » gratuites… ».
Le chant du cygne sans doute, car il est claire que le travail de
Miviludes n'est plus dans l'air du temps. C'est le moment de la faire
taire, pour laisser les mouvements sectaires déployer tranquillement
leur activité et exploiter sans vergogne la crédulité de leurs adeptes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire