dimanche 27 novembre 2022

Suite de la procédure judiciaire initiée par des anciens témoins de Jéhovah en Belgique : la cour d'appel de Gand ne donne pas satisfaction aux requérants





Au mois d'avril 2021, nous avions relaté une procédure judiciaire qui s'était tenue en première instance en Belgique, à l'initiative d'anciens témoins de Jéhovah. Ces derniers avaient été épaulés par UNIA, un organisme officiel auparavant dénommé Centre contre le racisme et pour l'égalité des chances. Le tribunal avait conclu que la pratique du shunning, c'est-à-dire le rejet par la communauté des témoins de ceux qui préféraient la quitter, s'avérait contraire aux dispositions pertinentes de la Convention européenne des droits de l'homme qui prohibent toute discrimination

En consultant l'actualité judiciaire d'outre Quiévrain, nous nous sommes aperçus qu'il y a quelques mois, en juin, la cour d'appel de Gand avait infirmé ce jugement. Cette décision judiciaire est extrêmement longue, pour nos lecteurs qui souhaiteraient approfondir, nous donnons ici le lien qui mène à une traduction électronique (le jugement était rendu en néerlandais).

Nous reproduisons ici (c'est déjà bien long long) des extraits de ce jugement. Précisons tout de même que les parties civiles se sont pourvues en cassation.

Comme nous le faisons habituellement, nous donnons à nos lecteurs une information aussi multilatérale que possible, et ce même lorsqu'une décision judiciaire ne nous satisfait pas. Il en va de notre crédibilité et de notre souci d'informer aussi complètement que possible.

Nous pouvons être légitimement choqués à la lecture d'un paragraphe d'une revue Jéhoviste sous le titre suivant : « restez fort si votre enfant se rebelle ». Il n'en va pas de même lorsque l'enfant excommunié est majeur et n'habite plus sous le toit familial. L'apôtre Paul a ordonné aux chrétiens de Corinthe de " cesser de fréquenter celui qui, appelé frère, est un fornicateur,ou un homme avide, ou un idolâtre, ou un insulteur, ou un ivrogne, ou un extorqueur, et de ne pas même manger avec un tel homme ". (1 Corinthiens 5:11.) Même si certaines questions familiales peuvent vous obliger à avoir quelques contacts avec votre enfant excommunié, vous devriez vous efforcer d'éviter les rencontres qui ne sont pas indispensables. in La Tour de garde , janvier 2007

C'est nous qui soulignons.

Pour le sociologue canadien Alain Bouchard, si l'État se mêle du fonctionnement interne des organisations religieuses, il porte atteinte aux libertés.

Nous ne partageons pas son point de vue, rappelons-le : si nous respectons les convictions religieuses, nous persistons à penser que les valeurs de la République (qui est en l'occurrence ne nous semblent guère différer des valeurs de la royauté belge !) priment en toutes circonstances, et qu'il importe aux hiérarchies religieuses de se conformer aux lois issues tant du droit interne que du droit européen et international des droits de l'homme.

Mais, faut-il le souligner, c'est notre conception exigeante des droits de l'homme qui nous mène à cette conclusion, et nullement une volonté de discriminer les témoins de Jéhovah ou à plus forte raison une semaine à leur encontre de notre part.


Il faut accepter que les religions fixent la norme doctrinale sur la manière dont les croyants doivent se comporter dans leur vie privée.‭ ‬Ainsi,‭ ‬la Cour de Strasbourg a jugé,‭ ‬entre autres,‭ ‬que le commandement de ne pas participer à certaines célébrations de non-témoins de Jéhovah,‭ ‬ou à des événements séculiers en général,‭ ‬ne diffère pas,‭ ‬en substance,‭ ‬des restrictions similaires imposées par d'autres religions dans la vie privée des croyants.

En effet,‭ ‬l'article‭ ‬9‭ ‬de la CEDH ne garantit pas le droit à la dissidence ou au désaccord au sein d'une communauté religieuse.‭ ‬La liberté de religion visée à l'article‭ ‬9‭ ‬de la CEDH s'exerce dans de tels cas en quittant la communauté religieuse‭ (‬Cour européenne des droits de l'homme,‭ ‬Sindicatul‭ "‬Pastoral Cel Bun‭" ‬c.‭ ‬Roumanie,‭ §§ ‬137‭ ‬et‭ ‬165‭)‬.‭ ‬2.6.7‭ 

Un grand nombre des comportements allégués par les parties civiles ou les personnes lésées enregistrées dans l'information pénale comme preuve du caractère illégal de la politique d'évitement‭ ‬-‭ ‬tels que la non-invitation d'anciens témoins à des fêtes ou à des cérémonies,‭ ‬la non-participation à des fêtes ou à des cérémonies d'anciens témoins‭ ‬-‭ ‬semblent à première vue,‭ ‬et dans la mesure où ils résultent de la décision indépendante et libre des croyants concernés,‭ ‬relever de la protection de l'article‭ ‬9‭ ‬de la CEDH.

L'article‭ ‬9‭ ‬de la CEDH accorde à une communauté religieuse le droit de ne pas tolérer la critique et d'exclure ceux qui ne sont plus d'accord avec les‭ ‬23‭ ‬dogmes de la communauté religieuse

"‬Ce qui est dénoncé,‭ ‬ce sont précisément les actes visant à frustrer la volonté individuelle en plaçant l'exclu dans un dilemme‭ ‬:‭ ‬soit la personne en question s'en tient à ses croyances religieuses déviantes et reste complètement isolée,‭ ‬soit elle renonce à ses vues personnelles et se conforme à nouveau aux règles de la communauté religieuse.‭ ‬De cette manière,‭ ‬il peut être réhabilité socialement,‭ ‬mais rien ne reste de son libre choix.‭"

Il ne fait aucun doute que la politique d'éviction a un fort effet dissuasif sur les membres des Témoins de Jéhovah qui envisagent de quitter la communauté religieuse,‭ ‬comme on peut également le déduire des déclarations des parties civiles susmentionnées.‭ ‬Toutefois,‭ ‬à la lumière de ce qui précède,‭ ‬il ne peut être établi sur la base des informations pénales que cet aspect dissuasif a une portée telle que la politique d'évitement porterait ainsi illégalement atteinte aux droits garantis par l'article‭ ‬9‭ ‬de la CEDH ou‭ ‬19‭ ‬de la Constitution.

La partie civile UNIA décrit la politique d'évitement comme suit : ‭"‬La politique de la communauté de foi à l'égard des anciens membres,‭ ‬qui sont qualifiés d‭'"‬apostats‭" ‬et d‭'"‬indignes‭" ‬dans divers écrits de la communauté de foi,‭ ‬revient à éviter tout contact entre les membres de la communauté de foi des Témoins de Jéhovah et les membres qui ont été exclus ou qui se sont retirés,‭ ‬isolant ainsi socialement les membres exclus et ceux qui se sont retirés.‭ ‬Dans la langue anglaise,‭ ‬cette politique d'isolement social est qualifiée de‭ "‬shunning‭"‬.‭ (‬...‭) ‬Étant donné que les contacts sociaux en dehors de la communauté de foi sont de toute façon découragés pour les Témoins de Jéhovah,‭ ‬la politique d'exclusion implique un rejet ultime et un isolement complet,‭ ‬car les ex-membres ne peuvent souvent se rabattre sur aucun réseau social autre que leur ancienne communauté de foi.‭"

La politique d'évitement des Témoins de Jéhovah‭ ‬-‭ ‬dont l'accusé ne conteste pas l'existence en tant que telle,‭ ‬comme indiqué ci-dessus‭ ‬-‭ ‬n'appelle pas littéralement à la discrimination au sens de l'intimidation,‭ ‬ni littéralement à la haine ou à la violence.

Les extraits de‭ "‬La Tour de Garde‭" ‬apportés par la partie civile P.‭ ‬H.‭ ‬qui ont été publiés pendant la période incriminée ne contiennent pas,‭ ‬de l'avis du tribunal,‭ ‬de propos qui devraient,‭ ‬pour l'instant,‭ ‬être considérés comme incitant littéralement à la discrimination dans le sens de l'intimidation,‭ ‬ou à la haine ou à la violence envers les anciens membres exclus des Témoins de Jéhovah.‭ ‬La simple citation de textes bibliques peut difficilement être comprise comme telle sans violer manifestement les articles‭ ‬9‭ ‬de la CEDH et‭ ‬19‭ ‬de la Constitution.‭ 

En effet,‭ ‬il est clair que par le terme‭ "‬apostats‭"‬,‭ ‬cet orateur ne se référait généralement pas à ceux qui ont quitté la communauté de foi des Témoins de Jéhovah.‭ ‬En fait,‭ ‬il a également déclaré explicitement ceci‭ ‬: ‬"Pour être clair,‭ ‬frères et soeurs.‭ ‬Nous ne parlons pas ici de personnes qui,‭ ‬peut-être à cause de certains doutes,‭ ‬ou d'une faiblesse passagère,‭ ‬ou peut-être par ignorance,‭ ‬ou parce qu'elles ont été trompées par d'autres par des pensées erronées,‭ ‬des pensées erronées,‭ ‬ont démissionné.‭" ‬À aucun moment au cours de cette conférence de‭ ‬17‭ ‬minutes,‭ ‬l'orateur n'a assimilé les membres ordinaires résignés ou exclus des Témoins de Jéhovah aux‭ "‬apostats‭" ‬qui faisaient l'objet de son discours.‭ ‬Les‭ "‬apostats‭" ‬auxquels cet orateur faisait référence étaient ceux qui‭ "‬déversent du venin et de la haine par le biais de toutes sortes de médias‭"‬,‭ ‬qui‭ "‬tiennent parfois des propos flatteurs sur Internet,‭ ‬à la télévision ou dans des lettres adressées à des frères et sœurs loyaux‭"‬,‭ ‬et qui‭ "‬mentent aux autorités,‭ ‬tentent par le biais des médias de discréditer la parole de Jéhovah et,‭ ‬lorsqu'ils le peuvent,‭ ‬rendent l'œuvre de Jéhovah plus difficile,‭ ‬voire la font interdire‭"‬.‭ "‬La seule chose qu'ils recherchent apparemment est‭ (‬...‭) ‬d'attaquer leurs anciens frères et sœurs.‭ ‬On dirait que c'est le travail de leur vie de nuire au peuple de Jéhovah.‭" ‬Il est clair que l'orateur faisait ainsi référence aux anciens membres des Témoins de Jéhovah qui dénoncent activement ce qu'ils considèrent comme les pratiques intolérables de cette communauté religieuse à l'égard de l'opinion publique en général et des membres encore affiliés des Témoins de Jéhovah en particulier.‭ ‬Si la formulation avec laquelle l'orateur a appelé l'auditoire à fuir ces‭ "‬apostats‭" "‬comme la peste,‭ ‬car ils le sont‭" ‬peut sembler aliénante ou discutable,‭ ‬cette conférence ne peut toutefois pas être interprétée comme un appel aux fidèles à fuir‭ "‬comme la peste‭" ‬les membres ordinaires démissionnaires ou exclus des Témoins de Jéhovah,‭ ‬sans méconnaître manifestement la contextualisation donnée par cet orateur dans le processus‭ ‬-‭ ‬et ce,‭ ‬encore une fois,‭ ‬indépendamment du fait que le contenu de cette conférence puisse être attribué à l'accusé sans autre forme de procès.

Il est de notoriété publique que c'est également le cas dans de larges couches de la communauté religieuse islamique et du judaïsme orthodoxe strict,‭ ‬entre autres.‭ ‬De l'observation selon laquelle,‭ ‬conformément à la jurisprudence de Strasbourg,‭ ‬il faut admettre que l'article‭ ‬9‭ ‬de la CEDH accorde à une communauté religieuse le droit de fixer la norme doctrinale quant à la manière dont les fidèles doivent se comporter dans leur vie privée‭ (‬Cour européenne des droits de l'homme,‭ ‬Témoins de Jéhovah Moscou et autres c.‭ ‬Russie,‭ § ‬118‭)‬,‭ ‬et accorde également à une communauté religieuse le droit de prendre des mesures pour réagir contre une dissidence ou une apostasie qui menace son unité ou son image‭ (‬CourEDH,‭ ‬Sindicatul‭ "‬Pastoral Cel Bun‭" ‬c.‭ ‬Roumanie,‭ §§ ‬137‭ ‬et‭ ‬165‭)‬,‭ ‬il s'ensuit que les communautés religieuses disposent d'une certaine liberté appréciative pour déterminer comment les croyants doivent se comporter à l'égard de ceux qui ont quitté la foi.‭ ‬Il est clairement incompatible avec l'article‭ ‬9‭ ‬de la CEDH d'imposer à une communauté religieuse ou à ses membres une injonction,‭ ‬exécutoire par le droit public,‭ ‬de se comporter envers les non-croyants ou les anciens croyants exactement de la même manière qu'envers les membres de la communauté religieuse elle-même.‭ ‬D'autre part,‭ ‬la liberté d'appréciation susmentionnée n'est pas illimitée.‭ ‬Le gouvernement peut intervenir à cet égard dans l'intérêt de la sécurité publique,‭ ‬de la protection de l'ordre,‭ ‬de la santé ou de la moralité publique,‭ ‬ou pour la protection des droits ou libertés d'autrui,‭ ‬à condition que cette intervention soit nécessaire dans une société démocratique et prévue par la loi.‭ ‬Il découle notamment de l'article‭ ‬8‭ ‬de la CEDH‭ (‬droit au respect de la vie privée et familiale‭) ‬que les autorités publiques peuvent être tenues de prendre des mesures pour protéger les droits prévus par cet article,‭ ‬y compris dans la sphère des relations entre individus‭ (‬CEDH,‭ ‬Evans c.‭ ‬Royaume-Uni,‭ §‬75,‭ ‬Barbulescu c.‭ ‬Roumanie,‭ §§ ‬108-111‭)‬.‭ ‬2.12.3‭ ‬S'agissant de l'effet pratique de la politique d'évitement qui,‭ ‬selon les parties civiles,‭ ‬conduit à un‭ " ‬isolement complet‭ " ‬ou à un‭ " ‬isolement social complet‭ "‬,‭ ‬le tribunal relève tout d'abord que,‭ ‬selon les déclarations des parties civiles et des lésés enregistrés dans l'information sur la peine,‭ ‬la politique d'évitement conduit tout au plus à un isolement social vis-à-vis des autres membres de la communauté de foi des Témoins de Jéhovah,‭ ‬et non à un isolement social généralisé.‭ ‬Rien n'indique,‭ ‬dans les informations relatives à la condamnation,‭ ‬que les Témoins de Jéhovah interviennent d'une quelconque manière vis-à-vis des non-croyants ou des non-croyants lorsqu'un membre,‭ ‬qu'il soit volontairement exclu ou non,‭ ‬établit des contacts sociaux en dehors de la communauté de foi,‭ ‬cherche à s'affilier à certaines associations ou se convertit à une autre foi.

Selon la Cour,‭ ‬il est manifestement disproportionné d'imposer à une communauté religieuse l'interdiction,‭ ‬pénalement applicable,‭ ‬d'émettre des directives relatives aux relations sociales ordinaires en tant que telles,‭ ‬y compris les amitiés,‭ ‬entre les membres d'une communauté religieuse et des tiers‭ ‬-‭ ‬non-croyants ou anciens croyants‭ ‬-‭ ‬avec lesquels il n'existe pas de relation familiale étroite.‭ ‬lorsque ces lignes directrices se contentent de décourager fortement ou de qualifier ces contacts de‭ "‬péchés‭"‬,‭ ‬sans toutefois inciter à des comportements manifestement illégaux,‭ ‬tels que l'approche active,‭ ‬le prosélytisme transfrontalier,‭ ‬la traque,‭ ‬les menaces ou le harcèlement en général.‭ 

Le fait que les tiers visés‭ ‬-‭ ‬non-croyants ou ex-croyants‭ ‬-‭ ‬puissent,‭ ‬de manière compréhensible,‭ ‬se sentir affligés ou blessés par cette situation,‭ ‬ou se sentir socialement isolés de leur cercle d'amis initial,‭ ‬ne suffit pas à neutraliser l'effet de l'article‭ ‬9‭ ‬de la CEDH en criminalisant de telles directives par le biais des dispositions pénales de la loi anti-discrimination.

‭ ‬Aussi compréhensif que l'on puisse être à l'égard des sentiments de rejet et d'isolement par rapport à leur cercle initial d'amis ou de connaissances,‭ ‬tels qu'ils sont éprouvés par les membres des Témoins de Jéhovah,‭ ‬qu'ils soient volontairement exclus ou non,‭ ‬de tels sentiments ne sauraient,‭ ‬selon la Cour,‭ ‬être considérés comme résultant d'une intimidation.‭ ‬la haine ou la violence visées à l'article‭ ‬22‭ ‬de la loi anti-discrimination,‭ ‬sans donner à ces notions de droit pénal une portée qui interfère de manière trop importante avec l'autonomie dont dispose toute personne en vertu des articles‭ ‬8‭ ‬et‭ ‬9‭ ‬de la CEDH et des articles‭ ‬19‭ ‬et‭ ‬22‭ ‬de la Constitution pour décider de manière indépendante avec qui entretenir des contacts sociaux et avec qui ne pas en entretenir.

Un jugement différent devrait être porté dans la mesure où la politique d'évitement encouragerait la rupture des liens résultant d'une parenté ou d'une affinité proche,‭ ‬comme entre parents et enfants,‭ ‬ou entre conjoints.‭ ‬Les liens étroits de descendance ou d'affinité sont protégés par la loi et sont source de droits et d'obligations juridiques entre les couples mariés et les parents par le sang ou l'affinité,‭ ‬comme le prévoient notamment le titre V,‭ ‬chapitre V et le titre IX,‭ ‬chapitre Ier du livre Ier du code civil.‭ ‬Ils sont également protégés par les articles‭ ‬8‭ ‬de la CEDH et‭ ‬22‭ ‬de la Constitution.‭ ‬Ainsi,‭ ‬les époux sont tenus l'un envers l'autre,‭ ‬entre autres,‭ ‬à la fidélité,‭ ‬à l'aide et à l'assistance‭ (‬article‭ ‬213‭ ‬du code civil‭)‬.‭ ‬En ce qui concerne les enfants mineurs,‭ ‬les parents sont tenus,‭ ‬entre autres,‭ ‬d'assurer le logement,‭ ‬l'entretien,‭ ‬les soins de santé,‭ ‬la surveillance,‭ ‬l'éducation et le développement,‭ ‬obligation qui,‭ ‬en ce qui concerne l'éducation,‭ ‬se poursuit même après la majorité de l'enfant‭ (‬article‭ ‬203‭ ‬du code civil‭)‬.‭ ‬En ce qui concerne spécifiquement les enfants,‭ ‬il ne s'agit pas exclusivement de soins matériels.‭ ‬Entre autres,‭ ‬en vertu de l'article‭ ‬19‭ ‬de la Convention relative aux droits de l'enfant du‭ ‬20‭ ‬novembre‭ ‬1989‭ ‬-‭ ‬en vigueur en Belgique depuis le‭ ‬15‭ ‬janvier‭ ‬1992‭ ‬-‭ ‬les enfants mineurs dans un contexte familial ont droit à une protection contre toute forme de négligence ou de mauvais traitements,‭ ‬ce qui inclut la négligence ou l'abandon mental.‭ ‬La mise en balance des droits et obligations susmentionnés,‭ ‬d'une part,‭ ‬et des droits protégés par l'article‭ ‬9‭ ‬de la CEDH et l'article‭ ‬19‭ ‬de la Constitution,‭ ‬d'autre part,‭ ‬peut justifier que le gouvernement utilise les dispositions obligatoires du droit pénal‭ ‬-‭ ‬entre autres telle qu'elle est contenue dans la loi anti-discrimination‭ ‬-‭ ‬interviennent lorsque les directives religieuses sont de nature telle qu'elles visent ou s'efforcent spécifiquement,‭ ‬pour quelque raison que ce soit‭ ‬-‭ ‬qu'il s'agisse d'apostasie ou de tout autre motif‭ ‬-‭ ‬d'annuler le lien naturel et juridique entre les époux,‭ ‬ou entre les parents et les enfants,‭ ‬ou d'inciter à porter atteinte aux droits et obligations découlant du mariage ou de la relation entre parents et enfants.‭ ‬33‭ ‬2.12.6‭ ‬Toutefois,‭ ‬il ne peut être déduit des informations pénales avec la certitude requise par la loi que la politique d'évitement a le champ d'application visé à la marge‭ ‬2.12.5,‭ ‬ci-dessus.‭ ‬À cet égard,‭ ‬la cour d'appel renvoie à nouveau à l'observation selon laquelle la procédure pénale en la matière repose presque exclusivement sur les déclarations de personnes qui ont été exclues de la communauté religieuse des Témoins de Jéhovah,‭ ‬volontairement ou non,‭ ‬et qu'aucune tentative n'a été faite pour objectiver ces déclarations unilatérales dans le cadre de l'enquête.‭ 

L'accusé lui-même conteste que la politique d'évitement ait un champ d'application tel que mentionné à la marge‭ ‬2.12.5.‭ ‬La directive officielle des Témoins de Jéhovah,‭ ‬présentée par la défenderesse à cet égard,‭ ‬indique que la politique d'évitement dans le contexte de la famille proche n'interfère pas avec le lien conjugal et n'altère pas les liens normaux d'affection entre proches parents par le sang ou par le mariage,‭ ‬comme entre parents et enfants.‭ ‬S'il faut constater que les textes anciens relatifs à la politique d'évitement,‭ ‬tels qu'ils ont été présentés par l'accusé lui-même‭ (‬document‭ ‬36‭)‬,‭ ‬témoignent sur plusieurs points d'une interprétation plutôt discutable des valeurs chrétiennes telles que la charité,‭ ‬il faut noter qu'ils indiquent aussi expressément dans chaque cas que la politique d'évitement ne doit pas conduire à porter atteinte au lien conjugal entre époux ou aux obligations des parents envers leurs enfants mineurs ou majeurs.‭ ‬Ainsi,‭ ‬un texte de‭ ‬1988‭ ‬concernant le lien matrimonial‭ ‬:‭ "‬Un homme qui est exclu ou qui se retire peut donc au mieux vivre encore avec son épouse chrétienne et ses enfants fidèles.‭ ‬Le respect des jugements de Dieu et l'action de l'église amèneront la femme et les enfants à reconnaître que par sa conduite,‭ ‬il a modifié le lien spirituel qui existait entre eux.‭ ‬Mais comme le fait qu'il ait été exclu ne met pas fin à leur lien de sang ou à leur relation maritale,‭ ‬les affaires et les contacts familiaux normaux peuvent continuer.‭" (‬Pièce à conviction‭ ‬36,‭ ‬p.33‭)‬,‭ ‬ou de‭ ‬1991‭ ‬:‭ "‬Cela signifie-t-il que les chrétiens vivant dans la même maison qu'un membre de la famille exclu doivent éviter de parler,‭ ‬de manger et d'interagir avec cette personne au cours de leurs activités quotidiennes‭ ? ‬La Tour de Garde du‭ ‬15‭ ‬avril‭ ‬1991‭ ‬dit dans la note de bas de page de la page‭ ‬22‭ ‬:‭ "‬S'il y a un parent exclu dans un foyer chrétien,‭ ‬cette personne sera toujours incluse dans les contacts et les activités quotidiennes normales de ce foyer.‭" (‬Pièce B défendeur,‭ ‬st.‭ ‬36,‭ ‬p.‭ ‬25‭) ‬ou de‭ ‬2017‭ ‬:‭ " ‬Si votre conjoint n'est pas Témoin,‭ ‬élever des enfants peut être particulièrement difficile.‭ ‬Par exemple,‭ ‬vous voulez apprendre à vos enfants à obéir au commandement biblique‭ ‬:‭ "‬Honore ton père et ta mère‭" (‬Eph.‭ ‬6:1-3‭)‬.‭ ‬Mais que faire si votre conjoint ne respecte pas les normes bibliques élevées‭ ? ‬Donnez vous-même le bon exemple en honorant votre conjoint.‭ ‬Mettez l'accent sur ses bonnes qualités et montrez-lui que vous l'appréciez.‭ ‬Ne dites pas de choses négatives sur votre partenaire devant vos enfants.‭ ‬Expliquez-leur plutôt que chacun doit choisir de servir Jéhovah ou non.‭ ‬Le bon comportement de vos enfants peut faire en sorte que votre partenaire se sente attiré par le vrai culte‭" (‬Pièce à conviction‭ ‬36‭ ‬de la défenderesse,‭ ‬p.‭ ‬8‭)‬.‭ ‬En outre,‭ ‬en ce qui concerne les enfants mineurs exclus,‭ ‬la politique d'évitement semble se limiter à ne plus permettre au mineur de participer activement à l'étude quotidienne de la Bible en famille.‭ ‬On peut douter que le mineur concerné vive cela comme une épreuve sévère.‭ ‬Les directives de la communauté religieuse des Témoins de Jéhovah relatives à la politique d'évitement ne permettent donc pas de déduire que celle-ci a une portée telle que celle visée au point‭ ‬2.12.5.‭ ‬2.12.8‭ ‬34‭ ‬Certaines parties civiles ont suggéré que la politique d'évitement a en réalité également une portée beaucoup plus draconienne dans le contexte familial que celle officiellement propagée par la communauté religieuse des Témoins de Jéhovah.‭ ‬Bien que cette possibilité ne puisse être exclue,‭ ‬elle ne ressort pas en droit de l'information sur la peine,‭ ‬compte tenu également de sa portée limitée.‭ ‬En outre,‭ ‬même les déclarations faites ou apportées par les parties civiles elles-mêmes ne démontrent pas sans ambiguïté que la politique d'évitement a une portée telle que visée à la marge‭ ‬2.12.5.‭ ‬En outre,‭ ‬il n'est parfois pas tout à fait clair si les expériences rapportées par certaines parties civiles ont été causées uniquement par la politique d'évitement menée à l'encontre de l'ancien membre des Témoins de Jéhovah,‭ ‬ou si d'autres facteurs sont également intervenus.‭ ‬  



Lorsque des Témoins de Jéhovah quittent la communauté, ils sont exclus et victimes d’isolement social. Selon la cour d'appel de Gand, il n'est pas prouvé que l'asbl Congrégation chrétienne des Témoins de Jéhovah incite à la discrimination ou à la ségrégation.


Date : 7 juin 2022  Instance : Cour d’appel de Gand

Les faits  Le 16 mars 2021, le tribunal correctionnel de Flandre orientale, section Gand, a jugé que la politique d’exclusion de l’asbl Congrégation chrétienne des Témoins de Jéhovah incite à la discrimination ou à la ségrégation et porte atteinte à l’intégrité psychique et à la dignité des personnes visées. La critique n’est pas tolérée et est même sanctionné par l’exclusion de la communauté religieuse. Les membres reçoivent des instructions quant à la manière d’appliquer la politique d’exclusion. Un recours a été introduit contre le jugement du tribunal correctionnel de Flandre orientale, section Gand. Unia s’est constituée partie civile dans cette affaire, aux côtés d'un certain nombre d'anciens témoins.

Qualification juridique  L’asbl Congrégation chrétienne des Témoins de Jéhovah a été poursuivie pour incitation à la discrimination ou à la ségrégation à l'encontre d'une personne (pour avoir annoncé publiquement l'exclusion de la communauté religieuse) et pour incitation à la discrimination ou à la ségrégation à l'encontre d'un groupe (pour avoir propagé et enseigné la politique d'exclusion au sein des communautés religieuses locales) (article 22 de la loi anti-discrimination du 10 mai 2007).

Décision   La cour d'appel constate qu'il n'est pas prouvé que l'asbl a incité à la discrimination ou à la ségrégation à l'égard d'une personne ou d'un groupe et la décharge des poursuites. Les demandes des parties civiles sont déclarées non fondées. Lorsqu'une personne quitte la communauté religieuse, le nom de la personne concernée est annoncé publiquement dans les espaces religieux communaux. Toutefois, selon la cour d'appel, la simple communication de ce nom ne peut en soi inciter à la discrimination à l'encontre de cette personne. En outre, la communauté religieuse mène une politique d'évitement à l'égard des ex-membres en propageant et en enseignant que tout contact entre les membres de la communauté religieuse et les ex-membres doit être évité. La politique d'évitement, selon la cour d'appel, n'incite pas littéralement à la discrimination au sens de l'intimidation, ni littéralement à la haine ou à la violence. Toutefois, les parties civiles ont évoqué les conséquences pratiques de la politique d'évitement conduisant à l'isolement social des ex-membres. Toutefois, la cour d'appel ne dispose d'aucun élément indiquant que la politique d'évitement conduit à un isolement social généralisé. Tout au plus, elle entraîne un isolement social par rapport aux autres membres de la communauté religieuse.

L’asbl Congrégation chrétienne des Témoins de Jéhovah est autorisée à édicter des instructions déconseillant fortement les liens d'amitié ou les qualifiant de péchés, pour autant que ces instructions n'incitent pas à un comportement manifestement illégal tel que le harcèlement, les menaces, les intimidations ... Il en va autrement lorsqu'il s'agit d'inciter à rompre les liens avec les parents, les enfants ou les conjoints. Mais, selon la cour d'appel, il ne peut être déduit du dossier pénal que la politique d'évitement a une telle portée.

Points d'attention  L'arrêt de la cour d'appel de Gand du 7 juin 2002 a fait l'objet d'un pourvoi en cassation. Unia était partie à la cause.

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