Nos lecteurs s'ignorent pas que nous nous efforçons toujours avant tout de les informer. Quitte à nous répéter, décrire les enjeux de la problématique sectaire sans pour autant invectiver, stigmatiser, nous semble le plus à même de défendre l'esprit critique et le libre arbitre contre les dérives. Il a été question, à plusieurs reprises dans nos colonnes, de mesures prises par l'administration à l'encontre d'écoles hors contrat. Or il s'avère que ces mécanismes ne sont pas des plus simples, nous pensons avoir saisi l'essentiel des procédures applicables en la circonstance. Certes, c'est une matière aride mais nous allons tout faire pour vous la rendre sinon attrayante, du moins accessible !
Le droit français comporte une multitude de disciplines, souvent traités par des juridictions différentes. Les rapports entre les personnes privées sont régis par le droit civil : droit des contrats, mariage, droit des associations (l'association est une forme de contrat entre ses adhérents) etc. Les infractions à la loi sont sanctionnées par des peines administrées par le juge pénal. Le droit civil et le droit pénal sont appliquées par un juge qu'un délicieux pléonasme appelle le juge judiciaire. En revanche, les contentieux entre des particuliers et des collectivités publiques (état, collectivités territoriales, établissements publics), voire entre entités publiques sont gérés par le droit administratif et une hiérarchie de tribunaux est spécialisée dans ces contentieux administratifs. Au sommet de cette hiérarchie, le Conseil d'État.
Avant que la Ve République ne crée le système de contrats entre les établissements d'enseignement privé et l'État, il n'existait, outre l'enseignement public, qu'un enseignement privé qui ne recevait pas de subsides de l'État. La loi Debré a été la première à instaurer des contrats qui permettaient de financer ces établissements privés, mais au prix de contraintes : l'établissement devait respecter les programmes officiels. En revanche, il était soumis à deux injonctions contradictoires. D'une part il devait respecter la liberté de conscience des élèves, et les accueillir sans discrimination, d'autre part il pouvait garder un caractère propre (au début largement confessionnel). De telle sorte qu'on pourrait dire qu'en même temps que l'enseignement dispensé au sein du privé se distinguait par la religion, il pesait sur lui une « obligation de laïcité » ! Les établissements qui ne le souhaitaient pas ne sollicitaient pas de contrat avec l'État. Le contrôle qui pesait sur eux était des plus réduits.
Lionel Jospin étant premier ministre, la secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale, une certaine Ségolène Royal avait fait voter une loi qui étendait le contrôle sur les établissements hors contrat. Entre-temps, le phénomène sectaire, dont on ne parlait pas au début de la Ve République, avait eu le temps de prospérer. Une loi, dite loi Royal, des textes réglementaires et une circulaire d'application avaient régi ces nouvelles modalités de contrôle. Les établissements restaient maîtres des méthodes pédagogiques. Mais à la fin de chaque cycle, les élèves des établissements hors contrat devaient avoir le niveau d'études fixées par le « socle commun » de connaissances de tous les petits Français. La circulaire d'application notait que le but de ce nouveau corpus législatif et réglementaire était le respect des « exigences fortes » de la convention internationale des droits de l'enfant de 1989. Il s'agissait donc aussi, d'après les termes du code de l'éducation, de guider l'enfant vers la citoyenneté.
Les établissements hors contrat subirent ainsi des inspections (parfois inopinées). Et c'est ainsi que notre association a sollicité avec des succès variables des rapports consécutifs à ces visites. Nous avons déjà d'ailleurs demandé des rapports concernant des écoles Steiner, des écoles démocratiques, des écoles relevant de la fraternité Saint-Pierre et de la fraternité Saint Pie X. Nous nous sommes également intéressés à des établissements fondamentalistes protestants ou à des écoles gérées par des communautés à dominante écologiste.
En cas de manquements répétés, des sanctions pouvaient être prises. Si après que des carences aient été constatées par une inspection, et si malgré une mise en demeure l'établissement ne s'y conformait pas, l'autorité académique pouvait enjoindre les parents de scolariser leur enfant dans un établissement qui ne présentait pas ces défaillances. C'était une décision administrative. Les parents pouvaient contester cet acte administratif devant le juge administratif; nous avons vu récemment, pour une école Steiner et pour une école démocratique, que le juge avait été saisi en référé c'est-à-dire suivant une procédure d'urgence. Il faut également remarquer que dès lors que les manquements sont constatés, le juge administratif considère que l'administration a compétence liée : en termes juridiques, la constatation des carences oblige l'éducation nationale à demander aux parents de rescolariser leur enfant.
Mais formellement l'établissement n'est pas fermé. Il est seulement « vidé de ses élèves ».
Mais une autre possibilité restait ouverte l'éducation nationale : saisir le procureur de la république et solliciter de la justice la fermeture de l'école. Cette solution présentait plusieurs avantages. Traditionnellement, le juge judiciaire comme nous l'avons appelé (ce n'est d'ailleurs pas nous qui l'avons appelé comme cela) est le gardien des libertés individuelles. Et, qu'on soit pour ou contre, la fermeture d'une école, objectivement, est bien l'atteinte à une liberté. Et le débat contradictoire devant les tribunaux, préalable à la fermeture, est la garantie d'une décision équitable. Mais, nous l'avons remarqué, très peu d'établissements hors contrat ont été fermés après une procédure judiciaire..
C'est suivant la procédure administrative que l'école Steiner des boutons d'or et l'école démocratique de l'Isère ont été « vidées » de leurs élèves. Dans le cas de l'école de Bagnères-de-Bigorre, le juge précise bien que la décision prise par le recteur n'était pas celle de la fermeture. Et dans un autre cas, celui de l'école Al Badr à Toulouse, une école musulmane dont nous aurons l'occasion de reparler, le recteur avait déclaré, cité par les colonnes du journal Marianne ( 01/09/2021):
Nous n'avons pas demandé la fermeture de l'école mais l'obligation d'inscription des élèves dans d'autres établissements. Nous avons rapporté les faits au procureur de la République à qui il appartient seul de donner suite ou pas à une procédure de fermeture de cette école. Nous sommes dans un état de droit : il y a la loi et son application. Nous attendons de voir ce que la justice va décider quant à cette fermeture. Nous serons très vigilants vis-à-vis de cette école mais, de façon générale, vis-à-vis des écoles hors contrat qui se trouvent dans notre académie.
Le Président de la république et le Ministre ont jugé que cette procédure était trop lourde. Était-ce en raison de la présence d'écoles salafistes ? Aussi lors du vote récent de la loi confortant les principes républicains, fut actée la fermeture administrative des écoles hors contrat qui ne répondaient pas aux conditions fixées par la loi. Le ministre de l'éducation nationale invoquait la lourdeur et la difficulté de fermer un établissement par la voie judiciaire en raison des délais. Écoutons le, devant le Sénat, la vidéo figure sur la chaîne « public Sénat ». En ayant écouté ces quelques mots, (l'intervention du ministre commence à la troisième minute de la vidéo) vous aurez compris l'intention du gouvernement.
Un argument peut être posé : la voie judiciaire permet une contestation antérieure à la fermeture. La décision est donc plus solennelle, il n'est d'ailleurs pas étonnant que la fondation pour l'école se soit insurgée contre cette nouvelle procédure. Mais il est exact que juridiquement, la procédure devant la justice est plus conforme à la tradition du droit français. En revanche, lorsque la fermeture administrative sera appliquée, le préfet prendra la décision de fermer l'école, sans débat préalable, et la discussion aura bien lieu mais ne pourra être que postérieure, dans les jours qui suivront, devant le tribunal administratif. Donc auparavant une procédure lente mais respectueuse de la tradition libérale de respect des libertés individuelles, dans l'autre cas, plus de rapidité, plus d'efficacité. Voici le texte de la nouvelle disposition législative :
En cas de refus de se soumettre au contrôle des autorités compétentes ou d'obstacle au bon déroulement de celui-ci, le représentant de l'Etat (NDLR : le Préfet) dans le département peut prononcer, après avis de l'autorité compétente de l'Etat en matière d'éducation, la fermeture temporaire ou définitive de l'établissement sans mise en demeure préalable. Il en informe le maire de la commune sur le territoire de laquelle est implanté l'établissement.
Comme nous le disions au début, un exposé aride ? Sans doute, mais le but est d'informer en profondeur nos lecteurs, non de leur asséner ce qu'ils doivent penser ! Les fermetures administratives seront-elles fréquentes ? Seul l'avenir nous le dira ! Pardonnez-nous l'austérité de cet exposé, mais il nous permettra d'aborder très prochainement une fermeture qui date de près d'un an et demi, celle de l'école démocratique LE CARRÉ LIBRE à Quimper, et, plus tard, celle de l'école musulmane de Toulouse. Pour le moment le tribunal administratif de Toulouse étant fermé en raison de la crise sanitaire, nous ne pouvons pas nous procurer les décisions judiciaires concernant cette école.
Mais avouons en toute humilité que le déchiffrage de ces textes ne fut pas, pour nous de tout repos, nous ne manquerons pas de nous corriger si nécessaire !
GK
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