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vendredi 2 septembre 2022

refus de transfuser des enfants (Témoins de Jéhovah): la jurisprudence du Québec





Au Québec, un centre hospitalier universitaire avait prescrit une transfusion à un bébé né prématurément. Au moment de la prescription, ses jours n'étaient pas en danger immédiat, mais le médecin craignait que cette naissance avant terme n'entraîne son décès à moyen terme.

Aussi la cour supérieure du Québec, c'est le nom de la juridiction, a-t-elle été saisie. Elle a rendu son jugement le 19 août dernier. Le texte est long, mais nous sommes toujours soucieux d'apporter l'information la plus complète possible.Aussi le reproduisons-nous ci-dessous dans son intégralité.


CONTEXTE

[1] Les défendeurs sont les parents de X, né le [...] 2022. L’enfant est né à 26 semaines et 6 jours de grossesse, ce qui fait de lui un prématuré extrême.

[2] Le CHU de Québec – Université Laval (« CHUQ ») demande l’autorisation d’administrer des produits sanguins à la fréquence et en quantité jugées médicalement nécessaires par l’état de santé de l’enfant et tel que déterminé par l’équipe de médecins traitants.

[3] Les parents, qui sont Témoins de Jéhovah, s’opposent à ces transfusions sanguines en raison de leurs croyances religieuses.

ANALYSE ET DÉCISION

[4] L’article 14 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») confère aux parents l’autorité afin de consentir ou non aux soins requis par l’état de santé de leur enfant mineur :

14. Le consentement aux soins requis par l’état de santé du mineur est donné par le titulaire de l’autorité parentale ou par le tuteur.

Le mineur de 14 ans et plus peut, néanmoins, consentir seul à ces soins. Si son état exige qu’il demeure dans un établissement de santé ou de services sociaux pendant plus de 12 heures, le titulaire de l’autorité parentale ou le tuteur doit être informé de ce fait.

[5] L’article 16 C.c.Q. permet toutefois au tribunal d’autoriser que des soins soient prodigués à un enfant mineur lorsque :

 1. les parents sont empêchés de consentir ou refusent de le faire de façon injustifiée;

 2. les soins sont requis par l’état de santé du mineur.

[6] L’article 16 se lit comme suit :

16. L’autorisation du tribunal est nécessaire en cas d’empêchement ou de refus injustifié de celui qui peut consentir à des soins requis par l’état de santé d’un mineur ou d’un majeur inapte à donner son consentement; elle l’est également si le majeur inapte à consentir refuse catégoriquement de recevoir les soins, à moins qu’il ne s’agisse de soins d’hygiène ou d’un cas d’urgence.

Elle est, enfin, nécessaire pour soumettre un mineur âgé de 14 ans et plus à des soins qu’il refuse, à moins qu’il n’y ait urgence et que sa vie ne soit en danger ou son intégrité menacée, auquel cas le consentement du titulaire de l’autorité parentale ou du tuteur suffit.

[7] C’est en vertu de ce dernier article que le CHUQ présente sa demande.

Refus injustifié des parents

[8] La preuve démontre que l’équipe traitante a informé les parents des risques encourus par l’enfant au cours des premiers mois de vie en raison de sa prématurité extrême. Il est à risque de développer une anémie sévère qui, en l’absence de transfusion sanguine, peut entraîner des dommages irréversibles et même le décès.

[9] Comme déjà indiqué, c’est en raison de leurs croyances religieuses sincères que les parents refusent de consentir à une transfusion sanguine.

[10] La Cour suprême du Canada a statué que, bien que les parents aient le droit d’éduquer leurs enfants selon leurs croyances religieuses et aient le choix des traitements médicaux, le droit à la liberté ne comprend pas celui de refuser à leurs enfants un traitement médical jugé nécessaire et pour lequel il n’existe aucune autre solution.

[11] Toute décision relative à l’enfant doit être prise dans son intérêt et le respect de ses droits. La santé de l’enfant est un élément déterminant devant être considéré dans l’analyse de ce qui est dans son intérêt.

[12] À plusieurs reprises, la Cour supérieure a statué que le refus des parents de consentir, pour des convictions religieuses, à des transfusions sanguines requises par l’état de santé de leur enfant mineur constituait un refus injustifié au sens de l’article 16 C.c.Q. La situation en l’espèce n’est pas différente.

Soins requis par l’état de santé du mineur

[13] À l’instruction, le CHUQ fait entendre le médecin traitant de l’enfant, Dre Geneviève Tremblay, pédiatre-néonatologiste.

[14] Elle explique que l’enfant est actuellement hospitalisé à l’unité des soins intensifs pédiatriques. Il reçoit un support respiratoire et une alimentation intraveineuse. Dre Tremblay anticipe que la condition de l’enfant requerra son hospitalisation pour quatre mois au cours desquels il devra notamment recevoir des supports respiratoire, hémodynamique et nutritionnel.

[15] Selon Dre Tremblay, en raison de sa prématurité extrême, l’enfant développera une anémie du prématuré. Il est également à risque d’hémorragies et de septicémie pouvant entraîner une anémie sévère. Ces conditions nécessitent l’administration de produits sanguins. En l’absence de traitement, le risque de morbidités sévères est accru telle l’augmentation des apnées, de l’hypertension pulmonaire, d’hémorragie cérébrale, de séquelles neurodéveloppementales sévères irréversibles et même de décès.

[16] Bien que, malgré les circonstances, X présente actuellement une bonne condition, Dre Tremblay témoigne qu’il est susceptible de se détériorer rapidement. D’ailleurs, elle explique que les études scientifiques démontrent que 90 % des nouveau‑nés grands prématurés doivent recevoir des produits sanguins par transfusion.

[17] Les défendeurs plaident que l’autorisation ne devrait pas être accordée puisque l’état actuel de X ne requiert pas qu’il soit transfusé.

[18] Il est vrai que sa condition est présentement stable. Connaissant les convictions religieuses des parents, l’équipe traitante a pris tous les moyens à sa disposition pour s’assurer que le taux d’hémoglobine de l’enfant demeure à des niveaux acceptables. Malgré ces précautions, le témoignage de Dre Tremblay établit que les nouveau-nés prématurés sont à fort risque d’une dégradation rapide de leur état. Des transfusions urgentes peuvent être requises, notamment en cas d’hémorragie active, d’une chirurgie ou d’une dégradation clinique associée à une anémie, une thrombopénie ou un trouble de coagulation.

[19] Conséquemment, la prépondérance de la preuve démontre que les soins proposés par le CHUQ sont requis par l’état de santé de X. 

[20] L’ordonnance est prononcée pour une période de quatre mois, ce qui correspond à la durée anticipée de l’hospitalisation de l’enfant.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[21] ABRÈGE les délais de signification et de présentation de la demande;

[22] ACCUEILLE la demande;

[23] ORDONNE l’anonymisation du présent jugement en cas de publication;

[24] AUTORISE le demandeur, par l’entremise de ses médecins et de son équipe traitante, à administrer à la personne de X, des transfusions de produits sanguins, à la fréquence et à la quantité qu’ils jugeront médicalement appropriées, et ce, pour une période de quatre (4) mois à compter du présent jugement;

[25] ORDONNE que le demandeur, par l’entremise de ses médecins et de son équipe traitante, minimise l’utilisation de produits sanguins sur la personne de X, et ce, à mesure où son état de santé le permet;

[26] ORDONNE au demandeur, par l’intermédiaire de ses médecins et de son équipe traitante, d’informer les défendeurs chaque fois qu’une transfusion de produits sanguins doit être administrée à la personne de X et de leur fournir toute explication raisonnable au sujet de cette procédure;

[27] ORDONNE l’exécution provisoire du présent jugement malgré appel;

[28] LE TOUT, sans frais de justice.



Ce n'est la première intervention de la justice canadienne devant ce type de situation. Ci-dessous une vidéo encore disponible, tirée des informations télévisées. 

LIEN VERS LA VIDEO



En guise de conclusion, une interrogation : le droit international et européen des droits de l'homme privilégie le droit à la vie, qui ne souffre, de même que l'interdiction de l'esclavage ou des traitements inhumains et dégradants, aucune dérogation. En revanche, la liberté de conscience est soumise à des limitations. Cela apparaît à la lecture de la Convention européenne des droits de l'homme comme à celle de la convention interaméricaine des droits de l'homme, à laquelle le Canada a souscrit.

Il nous semble que l'éthique la plus élémentaire devrait amener des parents à privilégier la vie de leur propre enfant, même s'ils sont confrontés à des prescriptions religieuses. Ce qui nous fait supposer que le sacrifice potentiel est accepté de la vie d'un enfant est le résultat d'un embrigadement subi dès la prime enfance. Ce qui nous amène à deux questions, en tant qu'humanistes et en tant que laïques attachés à la liberté de conscience, existe-t-il des outils pour contrecarrer l'embrigadement, notamment dans le cadre scolaire ? En second lieu, s'il semble difficile de dialoguer avec une personne déjà sous emprise, que faire ?

Précisons quand même que le droit français, en grande partie sinon dans sa totalité, est conscient des dommages occasionnés. Lorsqu'un malade est transfusé, l'établissement hospitalier est dégagé de toute responsabilité si les soignants ont tenté de dialoguer et si le risque était vital (CE, ordonnance du 12 aout 2002).

Des candidats à l'adoption peuvent se voir refuser l'agrément s'il s'avère qu'il ne feraient pas procéder à une transfusion en cas de danger (arrêt Frisetti  1992  Conseil d'État).

En 1985, l'association chrétienne des témoins de Jéhovah n'a pu bénéficier des dispositions favorables de loi de 1905 pour bénéficier de dons et legs (conclusions Michel Delon) ; l'arret était peu motivé mais les conclusions du Commissaire du Gouvernement étaient explicites sur l'atteinte à l'odre public social que constituait le refus de transfuser les mineurs. cette jurisprudence a été inversée 15 ans plus tard à l'occasion de contentieux relatif à l'exonération d'impôts locaux. (CE, 23 juin 2000). Pour le CLPS, la sauvegarde des droits fondamentaux, et notamment du droit à la vie, est un des piliers de l'ordre public. Rappelons s'il est encore nécessaire de le faire, que nous ne prônons ni la discrimination ni le mépris vis-à-vis des disciples des témoins de Jéhovah. Nous ne sommes que des modestes militants de la dignité humaine…


GK


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