La FECRIS dont nous sommes,
comme d’autres associations, correspondants, a été poursuivie en
RFA par les Témoins de Jéhovah. Le droit applicable était le droit
de la presse d’outre Rhin, dont nous avons compris que son
application différait des procédures que nous connaissons ici.
Les
Témoins de Jéhovah allemands avaient assigné en justice devant le
Tribunal de Hambourg (Landgericht Hambourg) la FECRIS pour demander
la suppression de plusieurs citations de la version en langue
allemande concernant diverses contributions d’orateurs lors de
plusieurs colloques.
Par
jugement du 27 novembre 2020 (n° du dossier 324 0 434/18) qui a
aujourd’hui force de chose jugée après que les Témoins de
Jéhovah aient renoncé à l’appel qu’ils avaient interjeté, le
Tribunal a débouté les Témoins de Jéhovah sur les points que la
FECRIS considère comme essentiels et a donné raison aux demandeurs
sur des points accessoires.
La
FECRIS a donc expurgé de la version allemande de son site (seule
concernée par ce jugement), les propos des orateurs sur lesquels
elle succombe, propos qui avaient été mis en ligne à l’occasion
de divers colloques (Bruxelles 2017, Sofia 2016, article « sectes
et valeurs européennes » 2015, Bruxelles 2014, Perpignan 2012,
Saint-Pétersbourg 2009).
Nous
ne disposons pas de la totalité du jugement (une centaine de pages
en langue allemande!). Aussi ne prétendons-nous pas à
l’exhaustivité.
Voici seulement quelques
extraits auxquels nous nous permettrons d’ajouter quelques
commentaires.
Le
juge considère qu’il s’agit là de l’expression d’une
opinion recevable : « les Témoins de Jéhovah
enseignent incontestablement qu’il faut éviter tout contact avec
les anciens membres, y compris les parents. En outre les
comportements contraires aux enseignements peuvent être sanctionnés
par les anciens…si l’on constate un contact inapproprié d’un
membre avec un parent qui n’appartient plus à la communauté. Une
action en justice (interne) peut être engagée contre le
membre s’il maintient « une communion spirituelle constante
avec la personne exclue » ou s’il critique ouvertement le
retrait de la communauté.
Et
le juge de déduire de cette disposition : « il est
permis d’affirmer que chaque membre court le risque…de voir son
comportement sanctionné, d’autant plus que le membre en question
ne peut probablement exclure totalement un tel risque que s’il n’a
aucun contact avec une personne qui a quitté le territoire, tout
contact pouvant être considéré comme « abusif ».
Cet
attendu nous semble rejoindre les conclusions que certaines
juridictions belges (pas toutes!) ont retenues. Un différence
toutefois à notre sens : outre Quiévrain, cette injonction à
mettre fin à la fréquentation des membres de la famille qui avaient
quitté les TJ était considérée comme une violation des droits
fondamentaux, en l’occurrence une discrimination. Il ne semble pas
du moins d’après les extraits en notre possession que le Juge
allemand retienne cette qualification juridique.
En
revanche, l’atteinte aux droits de l’Homme est retenue dans un
autre attendu :
Demande
des Témoins de Jéhovah
Le juge
considère qu’il s’agit là d’une expression d’opinion
acceptable et que « même en tenant compte des décisions
citées dans la procédure de reconnaissance (reconnaissance
des Témoins de Jéhovah allemands comme personne morale de droit
public) », les éléments permettant de retenir la violation
des droits de l’homme sont présents.
Sur ce
point du non-respect des droits de l’homme par les Témoins de
Jéhovah, la motivation du juge mérite d’être rapportée in
extenso : « selon l’argumentation incontestée de la
défenderesse (la FECRIS), il ressort des écrits de l’organisation
requérante (Témoins de Jéhovah allemands) que les «
non-témoins » relèvent du monde du mal, qu’ils sont l’œuvre
de Satan et condamnés à la destruction. Ainsi les personnes qui
n’appartiennent pas à la foi du plaignant sont classées comme
fondamentalement « mauvaises » et dégradées. Comme nous
l’avons déjà exposé, poursuit le juge, il faut également
supposer que, selon la conception de la plaignante, les femmes
doivent être subordonnées à leur mari et ne sont pas autorisées à
occuper certaines positions au sein de la congrégation… Il est
également incontestable que les mariages avec un non Témoin sont
déconseillés et que l’homo-et-la transsexualité sont strictement
interdites. Le rejet fondamental des transfusions sanguines peut même
être considéré comme un mépris des droits fondamentaux de
l’homme, car il peut porter atteinte au droit à la vie d’un être
humain. En outre, poursuit le juge, il est également
incontestable que le droit de vote n’est pas respecté dans la
mesure où les Témoins de Jéhovah sont tenus de rester
politiquement neutres et de ne pas participer aux élections
nationales.
Après
mure réflexion, souligne le juge, considérer que les Témoins
de Jéhovah ne respectent pas les droits de l’homme est une opinion
que le tribunal accepte et les Témoins de Jéhovah sont déboutés
de leur demande.
Un
autre extrait :
Sur la
demande des Témoins de Jéhovah
Le
juge précise que « le simple fait… que les assemblées
environnantes ne soient pas informées peut amener à conclure que
les pédophiles ont ainsi toute facilité à commettre de nouvelles
infractions ».
Les
Témoins de Jéhovah ont connu des succès judiciaires au cours des
dernières décennies
-Confrontés
à des séparations et aux problèmes de l’éducation des enfants,
avec l’arrêt HOFFMANN la Cour européenne des droits de l’Homme
a considéré que ce que le parent non TJ invoquait , à savoir les
risques éducatifs serait constitutif d’une discrimination
religieuse. Mais elle n’avait statué qu’à une voix de majorité.
Plusieurs années après, saisie d’une affaire similaire en Franc (
PALAU MARTINEZ), elle prenait la même décision mais à l’unanimité
moins une voix.
-En
1985, le Conseil d’État refusait aux TJ la possibilité de
recevoir des dons et legs dans les conditions prévues par la loi de
1905 ; la décisions était motivée de manière allusive mais
le Commissaire du Gouvernement avait évoqué clairement le refus de
transfuser les enfants en cas de danger, et notamment la menace que
cette attitude faisait peser sur l’ordre public social dont
l’article 375 du code civil assurait la protection. En 2000 la même
juridiction faisait droit à la contestation par le TJ du refus pour
trouble à l’ordre public de leur accorder des exemptions fiscales
concernant les impôts locaux.
Des
qualifications juridiques en Allemagne et en Belgique
amorceraient-elles un revirement en la matière ?
En
l’état il nous semble impossible tant de l’exclure que de le
prévoir !