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lundi 9 juin 2025

Décès lors d’un stage de jeûne hydrique / développements juridiques.


Indre-et-Loire : interdit de stage de jeûne hydrique, le naturopathe poursuit ses activités en visioconférence - ici

Nous avons déjà évoqué la survenue d’un décès lors d'un stage de jeune hydrique organisé par un naturopathe.


L'organisateur de ces sessions n'a pas semblé se remettre excessivement en cause puisqu'il continue à en proposer au public. Mais le préfet de Vendée les a interdites. Deux réflexions à ce sujet.


En premier lieu, le fondement juridique est on ne peut plus simple. Traditionnellement, la définition de l'ordre public en droit administratif français est celle d'un ordre public matériel uniquement : la sûreté, la tranquillité et la salubrité publique. Nous nous référons ici au professeur Rivero : « Il s’agit d’éviter les désordres visibles. Dans les régimes libéraux, distincts en cela des régimes totalitaires, l’ordre dans les esprits et dans les mœurs, ne relève pas de la police ; seules justifient son intervention les manifestations extérieures du désordre. L’immoralité notamment, n’est pas, en elle-même, objet de police tant qu’elle n’est pas en relation avec des désordres extérieurs, soit directement, soit du fait des réactions que le scandale peut susciter ». J. Rivero, droit administratif, édition Dalloz, 1975, p. 412.

Ce n'est que postérieurement que le Conseil d'État a inclus la protection de la dignité humaine dans la définition de l'ordre public.

L'argument de l'administration est donc extrêmement simple : l'interdiction de ce stage est fondée sur le grave risque sanitaire qui pèse sur l'ordre public.



En second lieu, il est fort rare qu'une situation quelle qu'elle soit ne soit pas le résultat d'un conflit de droits et ne mette pas en cause deux libertés contradictoires. Par exemple, pendant la pandémie, la liberté d'aller et venir était en conflit avec les impératifs de santé publique. Dans notre cas présent, l'impératif sanitaire se heurte au principe de la liberté du commerce et de l'industrie. Il appartient donc au juge de trancher sur le point de savoir si l'interdiction de la session n'est pas disproportionnée au point de porter une atteinte excessive à la liberté d'entreprendre.

Ce n'est point le cas répond la juridiction : d'une part, il peut continuer à exercer en tant que naturopathe sans avoir recours au jeûne hydrique, d'autre part, il n'a pas manifesté l'intention d'exercer son activité en l’expurgeant des pratiques les plus dangereuses. Le jugement cite d'ailleurs les principaux risques. La possibilité d'une issue fatale subsiste toujours.



Nous pouvons nous semble-t-il légitimement nous demander si ce raisonnement ne serait pas applicable à bien des propositions susceptibles de conséquences tragiques même si elles ne mènent pas à une issue fatale.



Cette décision judiciaire nous paraît particulièrement emblématique du sens de la nuance qu'il convient de cultiver pour que la légitime prévention du sectarisme, loin de restreindre les libertés publiques, en constitue un élément essentiel.



Ci-dessous, quelques extraits significatifs du jugement du tribunal administratif de Nantes, le lien vers l'intégralité de ce document ainsi que vers d'autres documents pour aider à la compréhension de cette affaire :



L'arrêté attaqué vise les dispositions qui le fondent, notamment le code général des collectivités territoriales, énonce, comme il a été dit, qu'il appartient à l'autorité administrative dans l'exercice de son pouvoir de police générale de prendre toutes les mesures de nature à garantir la salubrité, laquelle s'étend à la protection de la santé publique, et précise, par ailleurs que la pratique du jeûne hydrique non encadrée médicalement peut avoir des conséquences graves pour la santé dès lors que le jeûne excède deux semaines, que les stages proposés par M. C ne sont pas encadrés médicalement et peuvent durer jusqu'à 42 jours, enfin, qu'une stagiaire est décédée le 11 août 2021 après avoir suivi une cure de plus de deux semaines de jeûne organisée par M. C dans le département d'Indre-et-Loire. Par suite, l'arrêté attaqué comporte l'ensemble des considérations de fait et de droit qui le fondent. Dès lors, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté. 

Ainsi qu'il a déjà été dit au point 4, il ressort des termes de l'arrêté attaqué que le préfet de la Vendée a entendu interdire l'organisation de stages de jeûne hydrique par M. C, en raison des dangers que représentent pour la santé des participants l'absence d'encadrement médical de ces stages, la préconisation d'un lavement quotidien du colon par voie basse et le fait que ces stages s'adressent notamment à un public placé dans une situation de vulnérabilité particulière. Ainsi, en interdisant l'organisation de ces stages de jeûne, dont il est constant que la durée pouvait aller de 14 à 42 jours, exposant les stagiaires à des risques de troubles cardiaques, d'anémies et de perforations du colon, le préfet de la Vendée a entendu prendre une mesure préventive dont la finalité est de préserver l'ordre et la santé publics, alors que l'ouverture d'un stage dès le 1er octobre 2021 justifiait l'urgence de son intervention, les stages proposés par M. C pendant la période automnale et hivernale étant organisés en Vendée. Il s'ensuit que la décision attaquée, si elle vise de façon superfétatoire le Code pénal, ne constitue pas une sanction à l'encontre de l'intéressé à raison du décès d'une stagiaire intervenu le 11 août 2021, la procédure pénale ouverte à la suite de ce décès étant d'ailleurs toujours en cours. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit doit être écarté. 


Il ressort des pièces de la fiche réalisée à partir du rapport de l’Inserm de janvier 2014, produite par le préfet de la Vendée, que le jeûne à visée préventive ou thérapeutique « consiste à s’abstenir de tout aliment (solide ou liquide) à l’exception de l’eau pendant une période plus ou moins longue afin d’améliorer sa santé », et comporte des risques sérieux lorsqu’il est réalisé en dehors d’une structure médicalisée, notamment des risques cardiaques qui peuvent même conduire au décès, ainsi que des risques importants d’aggravation des symptômes si le jeûne se substitue à un traitement médical. Par ailleurs, il ressort de la fiche établie le 1er février 2022 par la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, également produite par le préfet, que « la pratique du jeûne, quelle que soit sa source d’inspiration, est toujours risquée. L’absence de qualification des encadrants peut conduire à des situations dramatiques », cette pratique participant, par ailleurs, à rejeter les méthodes de la médecine conventionnelle. Ainsi, s’il est constant que le préfet de la Vendée a interdit à M. C l’organisation de stages reposant sur la pratique du jeûne hydrique, quelle que soit leur durée, ce dernier, contrairement à ce qu’il soutient et par les pièces qu’il produit, ne justifie pas avoir organisé des stages d’une durée inférieure à 14 jours, durée qui excède la recommandation maximale de 7 jours préconisée pour ne pas exposer les stagiaires à des risques accrus de complications médicales. Il ne fait pas non plus état d’une intention de revoir à la baisse la durée de ses stages. Ainsi, compte tenu de la durée des stages proposés, de l’absence d’encadrement médicalisé des stagiaires, qui selon les allégations du requérant non assortie d’éléments de preuve, ne bénéficient que d’un simple « suivi physiologique » réalisé par des intervenants dont il n’est pas justifié qu’ils aient une quelconque formation médicale, l’interdiction des stages de jeûne hydrique organisés par M. C présente un caractère nécessaire et proportionné, alors même que cette interdiction s’applique sans limitation de temps. En effet, par cette mesure, limitée au seul département de la Vendée et aux stages reposant sur la promotion du jeûne, le préfet de la Vendée n’a aucunement interdit à M. C l’exercice de la naturopathie contrairement à ce que soutient l’intéressé. Elle ne fait non plus obstacle à ce que M. C sollicite la levée de cette interdiction en justifiant avoir modifié de façon substantielle l’organisation de ses stages. Ainsi, cette mesure qui est limitée à la seule organisation de stages de jeûne hydrique, si elle a eu pour effet d’entrainer une baisse du chiffre d’affaires réalisé par M. C, ne saurait être regardée comme portant une atteinte disproportionnée à la liberté du commerce et de l’industrie ou à la liberté d’entreprendre. Par suite, les moyens tirés de l’erreur d’appréciation, de la disproportion, du détournement de procédure et de l’atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie doivent être écartés.


TA Nantes, 5e ch., 7 mai 2025, n° 2113505. 

Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/d/TA/Nantes/2025/TA02E7DC4587734F870E85


Le lien vers le blog de Maître Landot qui donne le texte du jugement et des liens vers des articles de presse.


Jeûne juridique pour le (mortel) jeûne hydrique



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