Paris, le 1er juillet 2016 (…)
Monsieur,
Par
courriel du 14/12/2015, vous avez appelé l’attention de la Mission
interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires
(MIVILUDES) sur la pédagogie Steiner-Waldorf ».
En
réponse, je tiens tout d’abord à vous faire connaître que la MIVILUDES
n’a pas vocation à définir ce qu’est une secte. Elle a en effet pour
mission d’observer et de lutter contre les dérives sectaires. Elle
s’intéresse de ce fait aux atteintes pouvant être portées, par tout
groupe ou tout individu, à l’ordre public, aux lois et aux règlements,
aux libertés fondamentales et à la sécurité ou à l’intégrité des
personnes par la mise en œuvre de techniques de sujétion, de pressions
ou de menaces, ou par des pratiques favorisant l’emprise mentale et
privant les personnes d’une partie de leur libre arbitre.
Conformément
au principe de laïcité, la MIVILUDES s’interdit de porter quelque
jugement de valeur que ce soit sur les doctrines, les théories ou les
croyances en tant que telles, son objet étant de dénoncer
systématiquement les dérives sectaires et de lutter contre elles.
Le
seul contenu doctrinal n’étant pas suffisant pour caractériser un
risque de dérive sectaire, le travail de vigilance et de lutte mené par
la MIVILUDES prend appui sur la concordance de certains critères de
dangerosité tels la déstabilisation mentale, le caractère exorbitant des
exigences financières, la rupture avec l’environnement d’origine,
l’existence d’atteintes à l’intégrité physique, l’embrigadement des
enfants, le discours antisocial, les troubles à l’ordre public,
l’importance des démêlés judiciaires, l’éventuel détournement des
circuits économiques traditionnels et/ou les tentatives d’infiltration
des pouvoirs publics.
Un
seul critère ne suffit pas pour caractériser l’existence d’un risque de
dérive sectaire et tous les critères n’ont pas la même valeur.
Cependant, le premier critère (déstabilisation mentale) se révèle
toujours présent dans les cas de dérives sectaires.
En
ce qui concerne votre interrogation, la MIVILUDES reçoit régulièrement
des signalements et des témoignages exprimant de fortes inquiétudes et
difficultés au sujet des écoles Steiner-Waldorf. Aussi, conformément à
notre domaine de compétence et à notre mission ci-dessus rappelés, je
tiens à porter à votre connaissance les informations et les éléments
suivants.
Rudolf
Steiner était membre de la Société Théosophique dont la doctrine est un
syncrétisme fait de bouddhisme, de théosophisme et d’éléments d’autres
traditions religieuses, il s’en distancia pour créer l’Anthroposophie,
mouvement christologique. Cette doctrine est une gnose intégrant des
éléments du Nouveau Testament à des contenus classiques de l’occultisme
occidental sur fond de croyance au karma et à la réincarnation. La
mouvance steinerienne a donné naissance dès 1913 à une Société
anthroposophique imprégnée d’ésotérisme et de christianisme hétérodoxe,
plus tard de New Age, influente dans de nombreux secteurs : scolaire, à
travers de nombreuses écoles Steiner-Waldorf, médical, avec le
développement d’une médecine dite « anthroposophique », agricole, au
sein de « l’agriculture biodynamique », et bancaire.
Les
écoles Steiner ont fait l’objet d’une enquête lors du rapport 2000 de
la Mission Interministérielle de Lutte contre les Sectes. A cette date,
il a été établi que la pédagogie pratiquée incluait des éléments de la
doctrine anthroposophique : par exemple, les enseignants étaient amenés à
repérer, conformément à la distinction entre quatre stades de
l’humanité, minéral, végétal, cosmique et stade du « Je », à quel stade
d’évolution chaque enfant appartenait.
En
ce qui concerne la pédagogie elle-même, un rapport de l’Education
Nationale rédigé en décembre 1999 faisait état de méthodes fondées sur
l’imitation, au détriment parfois de la capacité critique de
questionnement. Les contenus des programmes introduisaient quant à eux
une confusion possible entre croyance, interprétation et approche
scientifique. En effet, l’apprentissage se fondait sur l’évocation
imagée et poétique d’une mythologie diffuse : par l’utilisation de
symboles, l’enfant était en quelque sorte « éveillé au divin ». Les
enseignants n’étaient pas tant choisis pour leur savoir que pour leur
parcours de vie et leur figure de « modèles » pour les enfants qu’ils
étaient destinés à instruire.
Dans
le cadre d’une pédagogie indépendante de toute visée curative, la
MIVILUDES n’a pas eu connaissance de cas avérés de dérives sectaires
dans les écoles Waldorf-Steiner, mais il semble légitime de s’interroger
sur les conséquences possibles de la pédagogie qui y est dispensée, en
particulier quant à la transparence de ses références doctrinales et
quant au respect de la laïcité et du socle commun de connaissances et de
compétences par lequel la loi définit ce que tout élève doit savoir et
maîtriser à la fin de la scolarité obligatoire.
Quant
à la prétention curative de la pédagogie Steiner, tel le traitement des
troubles de l’apprentissage, et de la médecine anthroposophique : les
vertus thérapeutiques de celles-ci n’ont jamais été évaluées de manière
indépendante, elles ne sont pas reconnues par les pouvoirs publics et
sont dénuées de tout fondement scientifique validé.
A
partir des signalements reçus nous relevons un ensemble de points
préoccupants : le fondement idéologique opaque ; la dissimulation du
contenu religieux et spirituel ; des cas d’effets délétères de cette
pédagogie sur les mineurs ; l’impact d’une communauté forte, à l’échelle
scolaire et entre les diverses institutions anthroposophiques. D’un
strict point de vue scolaire, les éléments de dérives récurrents sont la
confusion entre le domaine privé et celui de l’école, l’intrusion dans
la vie familiale, l’engagement progressif des parents dans la vie de
l’école (bénévolat, financier) ; l’absence volontaire de médiatisation
du contenu doctrinal et du fond idéologique ésotérique et spiritualiste
sur lequel repose la pédagogie Steiner, les constats effectifs de cas de
lacunes et retards scolaires (voire psychologiques) des enfants
scolarisés dans ces écoles.
De
manière générale, la recrudescence de la pédagogie Steiner Waldorf
s’inscrit dans un mouvement plus large : la MIVILUDES a pu observer ces
dernières années une prolifération d’offres pédagogiques dites «
alternatives ». Elles visent en particulier des enfants en difficultés,
difficultés scolaires, d’insertion sociale ou encore en situation de
handicap.
Le
succès de ce type de pédagogies dite « alternatives » s’appuie sur une
propagande offensive portée par des associations venant d’horizons très
différents qui jettent le discrédit sur l’Education Nationale et
militent pour « la liberté d’enseignement », le « droit à la différence
», « l’école à la maison », etc. Certaines se revendiquent de méthodes
reconnues, d’autres fondent leur communication sur l’amalgame avec ces
mêmes pédagogies, d’autres encore ont un caractère davantage fantaisiste
et fondent leur prétention pédagogique et scientifique sur des labels
et techniques qu’elles créés ad hoc.
Mise
à part l’absence d’évaluation pédagogique et scientifique, ce ne sont
pas tant les pratiques ou méthodes elles-mêmes qui posent problème que
l’utilisation déviante qui peut en être faite. Les dérives sont
engendrées par l’amateurisme de certains prestataires, l’absence de
formation psychologique ou pédagogique des enseignants ainsi que le
manque de recul critique, à la fois pédagogique et déontologique, quant
aux méthodes proposées. Les problèmes rencontrés couvrent un panel très
large, de ceux que font naître l’amateurisme à la dérive sectaire
véritable en passant par le charlatanisme et l’escroquerie des
prestataires. Dans tous les cas on relève un même défaut d’information
des parents concernant le contenu doctrinal de certaines propositions
pédagogiques. La dérive sectaire s’amorce lorsque le groupe, en jouant
sur les espoirs et les craintes que conçoivent bien légitimement les
parents pour leur enfant, amène ceux-ci à s’enfermer dans une idéologie
et rompre avec toute autre pratique ou pensée, s’isolant et isolant leur
enfant du monde extérieur, au détriment du développement social,
affectif et intellectuel de celui-ci.
Permettez-moi
pour conclure d’attirer votre attention sur l’existence d’une Mission
de Prévention des Phénomènes Sectaires (MPPS) au sein du ministère de
l’éducation nationale qui possède un réseau de correspondant académique.
N’hésitez pas à contacter la MPPS pour faire état de vos difficultés ou
être mis en relation avec le correspondant de votre académie (…).
Je
vous informe également que le ministère de l’Education Nationale a
édité une circulaire « Prévention et lutte contre les risques sectaires »
(circulaire n° 2012-051 du 22-3-2012) qui caractérise le concept
spécifique de dérive sectaire en matière d’éducation comme une perte des
chances de s’instruire, et rappelle que, en matière d’éducation comme
dans les autres domaines, les droits et intérêts fondamentaux de
l’enfant priment et qu’il est du devoir des agents de l’Education
Nationale d’effectuer un signalement lorsqu’un risque pèse sur ceux-ci.
La
circulaire NOR INT D1407220C du 17 avril 2014 fait de la lutte contre
les dérives sectaires dans l’enseignement l’une des orientations du
ministère de l’intérieur en cette matière, elle rappelle la possibilité
d’exercer un contrôle sur tout type d’établissement, qu’il soit public,
privé sous contrat, hors contrat, en présentiel ou à distance et appelle
à la coordination des services territoriaux, en particulier à l’échange
d’informations entre les services de la Préfecture et l’inspecteur
d’académie, directeur académique des services de l’éducation nationale
du département.