Dans les années qui suivirent
la création du CCMM, devenu centre Roger Ikor à la mort de son fondateur,
l'association obtint une subvention destinée à l'édition d'un opuscule de mise
en garde contre ce qu'on appelait à l'époque les « sectes ». L'Eglise
de scientologie avait choisi non pas de poursuivre l'association sur le
fondement du droit de la presse, mais de mettre en cause devant le juge
administratif le principe de ladite subvention, lequel était à ses yeux
attentatoire à la neutralité de l'État.
Saisi en première instance, le
tribunal administratif de Paris dans son arrêt Eglise de scientologie contre
État en date du 12 février 1987, s'était rendu aux arguments de
l'administration : « aucun texte législatif ou réglementaire n'interdisait
d'accorder une subvention à une association laïque régulièrement déclarée
poursuivant un but d'intérêt général consistant à participer à la protection de
l'être humain et à s'opposer à toute action collective ou individuelle tendant
par quelque moyen que ce soit, à asservir les individus et en particulier les
jeunes ». Ce jugement fut confirmé par le Conseil d'État. Les juges du
Palais-Royal, le 17 avril 1992 se sont refusés à donner à l'église requérante
satisfaction au vu des « risques que peuvent présenter, notamment pour les
jeunes, les pratiques de certains organismes communément appelés « sectes » et
alors même que certains de ces mouvements prétendent poursuivre également un
but religieux ».
Une formule qui fera date et
sera reprise dans plusieurs décisions judiciaires en matière administrative.
Récemment, un podcast du ministère de l'intérieur réunissait Monsieur Nicolas
Jacquette, élevé par ses parents au sein des témoins de Jéhovah et qui, jeune
encore, avait pris le parti de recouvrer ce qu'il ressentait comme sa liberté,
et Monsieur le Préfet Gravel, qui dirige le Centre interministériel de
prévention de la délinquance et la radicalisation. Monsieur Jacquette évoquait
les péripéties judiciaires auxquelles il avait été confronté. La mission
interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires avait
contesté la mise en ligne de la présentation de son ouvrage, (Nicolas, 25 ans,
rescapé des témoins de Jéhovah) sur son site Internet.
Hormis les procédures
d'urgence, un Conseiller d'État, le rapporteur public, présente à la haute
assemblée, à l'audience, des conclusions, à savoir une présentation juridique
du dossier et une argumentation afin d'aider le Conseil à décider. Nous avons
obtenu communication desdites conclusions. Nous ne pouvons légalement pas vous
les soumettre dans leur intégralité, car elles sont régies par le droit de
propriété intellectuelle, aussi nous ne pouvons qu'en extirper de courtes
citations de manière à étayer notre argumentation.
Il faut effectivement
admettre que la présentation « accrocheuse » qui est faite du témoignage de
Nicolas Jacquette par la 4ème de couverture peut suffire à jeter le discrédit
sur ces familles, l’effet étant renforcé par la sanction que l’administration a
donné à ce témoignage en lui faisant de la publicité sur son site internet.
Vous avez reconnu à
plusieurs reprises qu’eu égard aux risques que peuvent présenter les pratiques
de certains organismes à caractère sectaire, l’administration pouvait, sans
violer les principes de neutralité, de laïcité ni porter atteinte à la liberté
religieuse, prendre les mesures pour informer le public sur ces dérives et
améliorer l’efficacité de l’action préventive et répressive .
La Cour européenne des
droits de l’homme admet elle aussi que la lutte contre les dérives sectaires
puisse constituer un but d’intérêt général justifiant des ingérences dans la
liberté religieuse, du moment que la mesure en cause est nécessaire et
proportionnée au but poursuivi : car le « prosélytisme abusif » constitue selon
la Cour « la corruption ou la déformation » du témoignage religieux, et ne
respecte pas lui-même la liberté de pensée, de conscience et de religion .
Le 7 août 2008, le Conseil
d'État rendait son arrêt, la mission interministérielle n'était pas tenue de
retirer la mention du livre de Monsieur Jacquette de son site.
Considérant, en premier
lieu, qu'eu égard aux risques que peuvent présenter les pratiques de certains
organismes susceptibles de conduire à des dérives sectaires, alors même que ces
mouvements se présentent comme poursuivant un but religieux, la décision par
laquelle la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les
dérives sectaires, conformément à la mission d'information du public qui lui a
été confiée par les dispositions précitées de l'article 1er du décret du 28
novembre 2002 se borne, sans y adjoindre aucun commentaire, à signaler sous
l'intitulé Témoignage dans la rubrique Bibliographie de son site Internet les
références d'un ouvrage relatant le témoignage d'un ancien membre des témoins de
Jéhovah ainsi que la reproduction de la 4ème de couverture de l'ouvrage,
illustrée d'une photographie de la page de couverture, selon laquelle l'ouvrage
entend dénoncer les dérives sectaires sous toutes [leurs] formes , ne
méconnaît, dans les circonstances de l'espèce, ni le principe de neutralité et
de laïcité de la République, ni l'obligation d'impartialité qui s'impose à
l'autorité administrative, ni le principe de liberté du culte, dès lors,
notamment, qu'il n'est pas établi que l'ouvrage dont s'agit présenterait un
caractère mensonger ou diffamatoire
Il y avait donc une continuité
dans la jurisprudence. Implicitement, la Haute Assemblée considérait comme
légitime l'assertion selon laquelle des dérives sectaires affecteraient le
fonctionnement des Témoins de Jéhovah.
GK