Non, ce qui nous intéresse dans le dossier de l’Express du 12 août 21, outre le fait que ces lignes apportent un peu d’air frais à la pensée rationnelle, c’est ce que pointent du doigt les auteurs de ces articles : parmi les lobbyistes de ces pratiques — que vous êtes bien en droit de considérer comme utiles ou charlatanesques, sérieuses ou magiques, là n’est pas la question — avancent, à peine masqués des mouvements dérivants parfaitement identifiables comme groupes sectaires.
Je ne suis pas fou, je ne vais pas les nommer, je n’ai pas les moyens de me taper un procès contre l’ant… ah zut.
J’en profite pour rappeler que j’écris là sous mon nom et en mon nom. Pour le CLPS mais pas à la place du CLPS. Nous ne pratiquons pas la pensée unique.
Bertrand Baumeister
C’est donc avec beaucoup d’intérêt que nous avons étudié ce dossier qui, s’il n’est pas exhaustif bien sûr, nous fait le plaisir d’arpenter un terrain qui ne l’est pas souvent de façon aussi professionnelle. Ce qui méritait vraiment qu’on s’y attarde.
On ne saurait trop vous encourager à aller faire un tour là : https://www.lexpress.fr/actualite/sciences/le-dossier-de-l-express-le-lobbying-des-medecines-douces_2156296.html
Pour ma part, une vieille fascination pour les croyances attachées aux pseudosciences et au paranormal en général, de nombreuses années de lectures, de discussions, de rencontres avec des sceptiques et des zététiciens bien meilleurs que moi, sans que soit émoussé mon penchant pour la recherche de la vérité (ou réalité scientifique si vous préférez) ont fait que je me suis attaché à trois points de ce dossier : Un entretien avec une médecin, ex-tenante de l’homéopathie et critique actuelle de cette discipline ; un point sur ce qu’il est convenu d’appeler la porosité des universités de médecine aux pseudosciences ; un papier de la présidente de Cizen4science sur la très contestable — contestée, d’ailleurs — et autoproclamée Agence des médecines complémentaires et alternatives (A-MCA).
L’entretien avec Natalie Grams, médecin allemande.
Sous le titre « La croyance en l’homéopathie est le premier pas vers l’irrationalité »
Cette ancienne tenante et praticienne de l’homéopathie est aujourd’hui reconnue outre-Rhin comme une grande pourfendeuse du dogme hahnemannien. Non sans solides références, elle tend désormais à déconstruire ce système, fer de lance des « médecines » alternatives, en même temps que le discours de ses partisans.
Elle raconte comment elle a rencontré l’homéopathie (ainsi que l’acupuncture) à la suite d’un problème de santé, et comment, enthousiaste d’avoir recouvré la santé, elle avait laissé dormir son sens critique. « J’oubliais que nous avons un système immunitaire très performant et que dans 80 % des cas notre corps guérit de lui-même. »
Peinée par la sortie d’un ouvrage à charge contre l’homéopathie, en 2012, elle entreprend des recherches pour écrire un livre documenté sur les bienfaits de cette pratique et, ce-faisant, elle découvre que tous les arguments en faveur de celle-ci ne sont fondés sur aucune preuve, aucun raisonnement solide. « Dans le meilleur des cas, c’est simplement un effet placebo, ce qui n’est pas négligeable mais qui ne peut pas se présenter comme une thérapie médicamenteuse. »
Elle souligne que, en Allemagne, l’homéopathie, comme la médecine anthroposophique, bénéficie d’un statut qui légalise la commercialisation de leurs produits sans avoir à faire la preuve de leur efficacité (Note du rédacteur : il en est de même en France pour les granules, comme pour les produits Weleda, voir https://www.sciencesetavenir.fr/sante/weleda-un-medicament-anti-cancer-vendu-sans-autorisation_133575). Elle redoute que ce statut légitimise ces pratiques aux yeux de l’opinion mais relève que les choses sont peut-être en train d’évoluer avec la multiplication des critiques contre l’homéopathie.
Depuis 2015 Natalie Grams défend une médecine basée sur des preuves, celle qui est portée par les universités. Elle admet toutefois les pratiques « complémentaires », à condition qu’elles ne relèvent que du bien-être, et uniquement du bien-être, ne la dérangent pas. En revanche, c’est lorsqu’on cherche à les amener au niveau de la médecine fondée sur la science, que ça pose un vrai problème. D’aucuns voudraient que des recherches soient poursuivies pour prouver que les « médecines » alternatives sont efficaces. C’est naturel de vouloir la légitimation de leurs convictions mais « clamer que la recherche doit se poursuivre jusqu’à ce qu’elle leur donne raison ne relève pas d’une démarche rationnelle. »
Pour le Dr Grams, il vaut mieux consacrer l’énergie et l’argent de la recherche à des domaines plus sensés.
Plus surnaturel que naturel ?
Quand L’Express lui fait remarquer que pour beaucoup de monde l’homéopathie, comme l’acupuncture, passe pour une pratique naturelle, elle répond que ces principes ont plus à voir avec l’ésotérisme qu’avec la nature.
« Qu’y a-t-il de naturel dans le processus de dynamisation ? […] L’idée de percer la peau avec des aiguilles métalliques pour activer une supposée énergie vitale ne me semble pas spécialement naturelle. Cela relève plus de croyances que d’une quelconque réalité physique. Mais les homéopathes sont habiles pour faire croire qu’ils pratiquent une médecine naturelle. »
Du temps de Samuel Hahnemann (1755-1843) qui a inventé l’homéopathie, ce n’était pas forcément nocif de vouloir remplacer la médecine de l’époque par du repos et un peu de sucre, dit-elle encore, mais aujourd’hui « on ne peut pas dire que des granules fabriqués selon des principes sans fondement puissent encore nous servir ». Elle remarque aussi que l’ancienneté d’une thérapie devrait être un argument plus négatif que positif.
Elle expliquerait le succès des « médecines » alternatives par ce qu’elles font généralement circuler l’idée que les personnes ont un rôle à jouer sur leur propre maladie ou sur la santé de leurs enfants. De plus, les praticiens dans ces domaines consacrent souvent bien plus de temps à leurs visiteurs que les médecins conventionnels, ce qui donne l’impression d’être mieux écouté.
Il y a sans aucun
doute pour Natalie Grams un lien entre les « médecines »
alternatives et la défiance vaccinale. Nombreux sont les médecins
homéopathes ou anthroposophes qui s’affichent clairement
anti-vaccination. « Je constate aussi que la croyance en
l’homéopathie, notamment chez les jeunes parents, est un premier
pas vers l’abandon de la pensée rationnelle. Quand on croit en des
remèdes miracles, on commence à se méfier de “Big Pharma“ et
des “médicaments chimiques“. »
Ainsi la peur
d’être empoisonné par des produits pharmaceutiques supplante
celle de la maladie elle-même.
Le collectif Fakemed publie le palmarès des facultés où la perméabilité aux thérapies alternatives est la plus importante.
Sous le titre Dans les universités de médecine, les pseudosciences restent bien ancrées.
Là encore, l’article vaut d’être lu en détail. Ce qu’il me semble le plus important c’est le classement lui-même. Un classement aux points, de 0 à 20, proposé par Fakemed. Plus la faculté a de points, plus elle apparaît poreuse aux pseudosciences.
Source Collectif Fakemed, août 21.
[Méthodologie selon le collectif :
Les points ont été attribués aux différentes universités selon quatre catégories, et de la manière suivante :
Formations
Les diplômes interuniversitaires (DIU) et les diplômes d’études supérieures universitaires comptent chacun 4 points.
Les diplômes universitaires (DU) comptent 3 points.
Toutes les autres formations comptent 2 points.
Consultations en CHU (Centres hospitaliers universitaires)
Toute consultation mettant en valeur des pratiques de soins non conventionnelles (PSNC) ajoute 1 point à l’université à laquelle est rattaché le CHU.
+ 5 points pour les universités parisiennes en raison de l’offre pléthorique de l’AP-HP (cf sources)
Direction des universités
Dans cette partie, des points ont été attribués aux prises de position publiques du doyen ou de l’université. Deux universités ont obtenu des points :
+ 5 pour l’université Aix-Marseille en raison des prises de position de l’IHU Méditerranée Infection et de son directeur tout au cours de la pandémie de Sars-Cov-2 pour la promotion de thérapeutiques non éprouvées, ainsi que les tribunes offertes lors des cours (de surcroit disponible sur une plateforme vidéo) à des intervenants foulant aux pieds les données acquises de la science
+ 3 pour l’université de Côte d’Azur dont le doyen participe à la promotion de l’Observatoire des médecines complémentaires et non conventionnelles (OMCNC).
Partenariat
Tout partenariat avec une structure faisant la promotion voire le commerce de pratiques de soins non conventionnelles ajoute 3 points.
Ajout de Point bonus
L’université de Montpellier-Nîmes propose, au milieu de DIU discutables, un DU Emprise sectaire, qui nous apparait primordial, et encore davantage après lecture du dernier rapport de la Miviludes signalant une hausse des dérives sectaires dont la porte d’entrée correspond au secteur de la santé.]
Le collectif Fakemed s’est constitué à la suite d’une tribune dans le Figaro, rédigée en 2018 par un groupe de médecins, contre le remboursement de l’homéopathie et l’enseignement à l’université de pratiques non validées par science. Une tribune qui avait fait réagir les « pour » et les « contre ». Peu après, L’Express publiait un appel de la même teneur par 130 académiciens, à la suite duquel, après un large débat, prenait fin le remboursement des granules. Succès, donc, pour ce qui concerne l’homéopathie mais déconfiture relative pour l’entrisme des pseudosciences à l’université.
La grande « gagnante » est la fac de médecine de Strasbourg, avec 20 points bien mérités. En effet, ces deux dernières années, son campus a même accueilli 4 séminaires de médecine anthroposophique. Très, très loin des fondements rationalistes de la médecine universitaire.
Cependant le doyen de la faculté persiste et « ne voit pas pourquoi la médecine anthroposophique, pratiquée notamment en Allemagne, devrait être censurée. ».
Autre chose, le même établissement propose un diplôme d’université de médecine, méditation et neurosciences, ou encore un diplôme interuniversitaire d’acupuncture obstétricale. Pratiques qui n’ont jamais apporté la moindre preuve tangible de leur efficacité.
Le problème relevé par Fakemed et par tous les défenseurs de la médecine basée sur des preuves, c’est que des pseudo-thérapeutes se bardent aujourd’hui de diplômes qui existent bel et bien sur le papier. La fameuse caution universitaire légitime des pratiques qui ne devraient rien avoir à faire ici.
Il faut dire que la poire est juteuse, puisqu’on parle ici de formation et que les DU et DIU rapportent de l’argent, par des cursus payants.
Notons enfin que Saint-Etienne, Lille, Angers ne récoltent aucun point. Pour une fois : honneur aux perdants.
À propos de l’A-MCA, la tribune de Fabienne Blum, de Citizen4Science
Sous le titre « Les autorités doivent réinvestir le champ des thérapies complémentaires »
En préambule, il est bon de rappeler ceci : il n’y a qu’une médecine qui réunit des pratiques basées sur des preuves, fondées sur la science et sous le contrôle des instances compétentes.
L’A-MCA, qu’est-ce ? Bien que sa ronflante appellation d’agence pourrait laisser entendre autre chose, l’Agence des médecines complémentaires et alternatives n’est qu’une association comme une autre. Sauf que celle-ci ambitionne clairement de devenir une agence gouvernementale. Elle est d’ailleurs portée en grande partie par des députés qui en sont membres et des universitaires. Pas facile à démêler, mais on apprécie le niveau d’influence dont l’A-MCA bénéficie.
L’« agence » entend bien jouer de tous ses pouvoirs pour promouvoir et développer les « médecines » complémentaires. On trouve parmi ses partisans et partenaires des tenants et des pratiquants de méthodes qui n’ont jamais fait la preuve d’une autre dangerosité que de la leur. Comme l’anthroposophie, bien entendu, l’homéopathie, évidemment, mais aussi des espèces de négationnistes de la pandémie actuelle. Et parmi les partenaires (sponsors ? à voir) on trouve des universités canadiennes connues pour leur affection pour la naturopathie ou la kinésiologie.
Utile à la collectivité, cette agence qui promeut une « approche holistique centrée sur l’humain, comme si ce n’était pas le fondement de la médecine ? Il y a peu de chance. Quoi qu’il en soit, notre pays possède déjà un code de santé publique qui régule la médecine et les soins de santé. Nous disposons de structures compétentes pour la classification, l’évaluation et la régulation des thérapies complémentaires et de vigilances sur les usages, comme Agence nationale de sécurité du médicament, la Haute autorité de santé, les ARS, les académies de science et un ministère qui traite déjà du sujet des « pratiques de soins non conventionnelles ».
Nul besoin donc d’une nouvelle entité, surtout pas d’un lobby acharné pour les pseudosciences, mais il faudra donner aux instances habilitées en place des moyens de mener à bien leur mission.
Fabienne Blum est docteur en pharmacie, cofondatrice et présidente de l’association Citizen4science. https://citizen4science.org/