« Les réseaux sociaux constituent un nouveau mode de
dépendance sectaire »
Gilbert
Klein Président du Cercle laïque pour la prévention du sectarisme
(agréé Jeunesse et sport).
Par Propos recueillis par D. G.
- 13 juil. 2021
Selon
vous, la pandémie a-t-elle favorisé les dérives sectaires ?
C’est
difficile à dire. Il y avait un courant préexistant. Les gourous
2.0 ne datent pas d’hier, tout comme le mouvement complotiste. Mais
il est certain que la pandémie a accentué le phénomène. Thierry
Casasnovas, Jean-Jacques Crèvecoeur ou Silvano Trotta sont des
gourous 2.0. Avec Christian Schaller, ils ont réalisé à eux quatre
une émission YouTube au plus fort de la première vague.
Jean-Jacques Crèvecœur, affirmant
que nous étions en dictature
, incitait dans une de ses vidéos les Français à sortir tous en
même temps au plus fort de la première vague.
Comment
parviennent-ils à avoir de l’emprise ?
Souvent,
cela passe par une addiction à leurs vidéos. Une ancienne adepte
avait témoigné dans un reportage à la télévision. Elle
expliquait qu’elle avait le sentiment de se sentir supérieure
parce qu’elle savait tout, qu’elle était éclairée. En présence
de Casasnovas, elle s’était d’ailleurs rétractée quelques
jours après, curieusement. Les réseaux sociaux constituent donc,
semble-t-il, un nouveau mode de dépendance sectaire.
Le
fait d’appartenir à une secte est-il punissable par la loi ?
D’un
point de vue juridique, il n’existe pas de délit lié à
l’appartenance à un mouvement sectaire. Il n’existe pas de
définition juridique de la secte et aucune liste officielle ne
recense les mouvements sectaires. Les poursuites commencent lorsqu’il
y a une infraction de droit commun, mais il n’y a pas de
législation propre aux sectes. On peut se demander si un acte non
constitutif d’un délit peut être considéré comme un trouble à
l’ordre public. Mais c’est un autre débat.
Antivaccin, antimasque, opposé à
la ''dictature sanitaire'' : comment la pandémie a favorisé les
dérives sectaires
Leur
popularité a explosé avec la pandémie. Les « gourous 2.0 »
ont trouvé dans l’épidémie de Covid-19 un terreau fertile pour
répandre leurs théories controversées. Leurs discours inquiètent
la Miviludes, l’organe de surveillance des dérives sectaires en
France.
Par Damien GOLINI -
Il
s’appelle Silvano Trotta, il est Strasbourgeois. Inconnu du grand
public il y a encore quelques mois, cet ex-youtubeur a dopé son
nombre d’abonnés depuis le début de la pandémie. Chassé de
Youtube, c’est désormais depuis les réseaux sociaux russes qu’il
distille ses théories pour le moins controversées. Antivaccin,
antimasque, opposé à la « dictature sanitaire », il est
l’un des leaders du mouvement « antivax » en France.
Son
discours a séduit la Messine Sylvie Vernet, référente Grand Est du
collectif Bon Sens, une association créée en septembre 2020
par Xavier Azalbert, directeur du très discutable site FranceSoir
(qui ne compte plus aucun journaliste). « Avec d’autres, il
est un relais de nos propres réflexions », explique-t-elle.
« Ce sont des gens courageux, honnêtes, pas corrompus, qui ne
vont pas dans le sens commun », abonde le Messin Pascal, lui
aussi opposé à la vaccination.
Puce 5G et médecines naturelles
Comme
Silvano Trotta, d’autres figures ont émergé avec la pandémie,
comme Jean-Jacques Crèvecoeur ou Thierry Casasnovas. Dans une vidéo
vue plus de 300 000 fois, le premier affirme que les vaccins
seraient vendus au bénéfice de Bill Gates, afin d’injecter un
« gel nanotechnologique », ou une puce 5G. Le second
promeut les bienfaits de « médecines naturelles » aux
vertus prétendument miraculeuses contre la Covid. Des discours qui
leur valent d’être dans
le collimateur de la Miviludes, la Mission interministérielle de
vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.
En
pleine pandémie, ces « gourous 2.0 » ont trouvé un
terreau favorable pour semer les graines de leur philosophie
conspirationniste. « Les gourous ont été vite en action,
surfant
sur les peurs, les détresses
, la morosité ambiante, les freins à la vie sociale »,
rapporte Lucienne de Bouvier
de Cachard, cofondatrice de Secticide, association basée à Verdun
agréée par le ministère de l’Éducation nationale et membre de
la fédération européenne des centres de recherche et d’information
sur le sectarisme.
Leur
parole est devenue sacrée, irréfutable. « Certains marchands
de « bonheur » se sont fait auto-entrepreneurs, offrant
via les réseaux sociaux des promesses de bien-être, de guérison,
de développement […], n’hésitant pas à disqualifier la
science, ses avancées, ses institutions. Ces « techniques »
ouvrent
la porte à des dérives sectaires
quand elles font basculer un esprit rationnel vers la pensée
magique, anesthésiant la perception des risques et favorisant la
rupture avec l’environnement habituel, voire les liens familiaux »,
explique Lucienne de Bouvier de Cachard.
QAnon en embuscade
Ces
méthodes amplifient le sentiment d’appartenance à une communauté.
« Il y a des codes, des éléments de langage. Ils partagent
des valeurs et ceux qui n’y croient pas sont taxés de collabos. Il
y a une binarité de la pensée : les bons d’un côté (eux)
et les collabos de l’autre », décrit Yanis Malot, qui a
étudié les communautés antivax en Bourgogne Franche-Comté.
Le
milieu complotiste est aussi un terreau fertile pour les mouvements
plus obscurs. Le groupe Facebook Unic57 a par exemple partagé des
contenus liés à QAnon, un mouvement d’extrême droite américain
qui croit en l’existence secrète d’une organisation mondiale de
pédophiles adorateurs de Satan qui contrôlent le monde. Et dont le
rempart serait… Donald Trump.
Dans l’ombre du complotisme,
l’ultra-droite
Par L'Est Républicain -
Le collectif Bon
Sens et RéinfoCovid ont organisé un rassemblement à Nancy, le
3 juillet. Photo ER
Samedi
3 juillet, un rassemblement a été organisé à Nancy à
l’appel du collectif Bon Sens et de RéInfoCovid, pour torpiller la
politique du gouvernement en matière de lutte contre la Covid-19. En
avril, RéinfoCovid appelait aussi à manifester contre le port du
masque à Metz.
Qui se cache derrière ces deux collectifs ?
Bon
Sens
Le
collectif compte parmi ses fondateurs la généticienne Alexandra
Henrion-Claude, l’essayiste Arnaud-Aaron Upinski ou l’auteure
Valérie Bugault, figures du conspirationnisme et proches de
l’extrême-droite, mais aussi Martine Wonner, députée alsacienne
ex-LREM et médecin née à Hayange.
Les
trois premiers sont intervenus à plusieurs reprises sur la web TV
Libertés, une chaîne cofondée en 2014 par Philippe Milliau, alors
dirigeant du Bloc identitaire, un mouvement d’ultra-droite.
Alexandra
Henrion-Claude, ex-directrice de l’Inserm, s’est affichée avec
Florian Philippot (ex-FN fondateur de Patriotes) et a fait la une de
Civitas, un mouvement catholique ultra-nationaliste d’extrême
droite. Valérie Bugault est membre d’Égalité et Réconciliation,
le mouvement antisioniste d’Alain Soral. Arnaud-Aaron Upinski est
connu pour ses ouvrages qui mélangent théories d’extrême droite
et occultisme.
RéInfoCovid
Sur
la chaîne Youtube du collectif, plusieurs personnes proches des
mouvances nationalistes, voire antisémites, ont pu s’exprimer.
Comme la Suissesse Chloe Frammery, enseignante, qui n’hésite pas à
partager les contenus du mouvement QAnon et qui s’est affichée
avec Dieudonné. Ou encore Étienne Chouard, professeur, qui, en
2019, tenait des propos négationnistes dans Le Média.
« Il
n’y a pas que l’extrême droite », nuance Yanis Malot,
spécialiste des mouvements antivax. « On trouve aussi des
apolitiques et des gens de gauche, des écologistes. Ce sont des
courants qui ne se mélangent pas d’habitude. On est plutôt dans
le confusionnisme. ». Soit « des passages rhétoriques
stabilisés entre l‘extrême droite et l’extrême gauche »,
selon la définition du politologue Philippe Corcuff.
Ils démontent les fake-news sur les
réseaux
Par Damien GOLINI -
Via
les réseaux sociaux, deux clans s’affrontent sur le front de la
pandémie. D’un côté, les « antivax ». De l’autre, les
pro-vaccin.
Éric
est Nancéien. Depuis plusieurs mois, il passe le plus clair de son
temps à « débunker » (démystifier en français) les
théories complotistes en ligne. Membre de plusieurs groupes Facebook
(Les désinformateurs, c’est eux ; Les Vaxxeuses ;
Debunker de Hoax ; Desintox…), il tente de convaincre
les vaccino-sceptiques.
« Je me suis lancé car j’ai compris le danger que ces
discours représentaient », indique-t-il.
Son
argumentaire est huilé. Ses informations sourcées. Avec d’autres
internautes, il mène le combat en ligne. « Nous avons
plusieurs méthodes. On s’infiltre dans les pages Facebook Antivax,
on fait plusieurs signalements simultanés pour que les publications
soient retirées par Facebook. Parfois, on arrive à les éjecter »,
explique-t-il. Des logiciels espions peuvent aussi être utilisés
afin d’anticiper les publications des antivax.
Éric
en est persuadé : « On sent sur les antivax une réelle
emprise des gourous. Les dérives sectaires sont évidentes. Certains
ont des discours complètement délirants. Ils sont persuadés que se
faire vacciner va à l’encontre de leur karma. On trouve aussi
beaucoup d’adeptes de la théorie QAnon… » Il conclut :
« « On arrive parfois à retourner les gens. Mais pour
certains, c’est impossible. C’est inquiétant »