merci à Témoignage chrétien!
« Nous
voulons travailler avec l’Église »
Présidente
de l'association Sentinelle, Laurence Poujade défend les victimes
d'abus sur majeurs dans les communautés religieuses. Elle veut
travailler en coopération avec l’Église catholique.
Quelle
est l'origine de l'association Sentinelle ?
J'ai
appartenu à une communauté dans laquelle j'ai été sous emprise et
violentée, avant de prendre mes distances. Mes parents se sont
occupés des questions d'emprise mentale en milieu communautaire
pendant vingt ans. Sentinelle a vu le jour en janvier 2014, afin de
soutenir les victimes d'abus sur majeurs par l’écoute et le
dialogue. Nous sommes des laïcs engagés, tout autant citoyens de la
République que baptisés en Église.
Comment
définissez-vous l'emprise dans les communautés religieuses ?
Avec
l'emprise mentale, la victime coopère à sa propre destruction. Le
code pénal, avec la loi About-Picard de 2001, parle de mise en état
de sujétion psychologique ou physique. Cette sujétion résulte de
l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de l'état de faiblesse
sur des personnes mises en situation de vulnérabilité. Sentinelle
privilégie l'interprétation restrictive de l'abus spirituel,
touchant exclusivement la dimension spirituelle, indépendamment des
dimensions psychologique et physique. Tout ne relève pas de l’abus
spirituel, même en milieu religieux.
Comment
agit Sentinelle ?
Sentinelle
est une association laïque, non-cultuelle, d'intérêt général.
Elle n'est pas, stricto sensu, une association de victimes, du fait
de son ouverture à des bénévoles non directement impactés par
les abus en milieu communautaire. Notre association de terrain garde
en mémoire les faits relatifs aux dysfonctions, ce qui est
complémentaire avec l’action des missions d'écoute
individuelles. Elle accorde son soutien aux survivants d’abus sur
majeurs et à leur entourage, souvent composé de victimes par
ricochet. Les signalements portent, aussi bien, sur des personnes
sorties de communauté, que sur des enfants majeurs encore à
l’intérieur de communautés religieuses dont le signalement est
effectué par leur famille. Nous sommes également compétents à
l’égard des laïcs victimes d'infractions relevées du fait d’un
membre de communauté ou d’un couple chrétien.
En
effet, les membres de l'association, sans être des professionnels du
soin, proposent un diagnostic de situation et un suivi personnalisé.
Nous cherchons à mettre les personnes en relation, soit entre
membres, soit avec des personnes ressources. Certains avocats
travaillent avec nous bénévolement. L’association travaille en
réseau avec la soixantaine d’associations européennes de la
FECRIS, (centre d’information et de ressource sur le sectarisme).
En cas de besoin, nous faisons œuvre de médiation, en alertant les
institutions publiques ou ecclésiales.
Avez-vous
ressenti un effet « Me too » ?
Oui,
mais avant cela, l'arrivée successive d'internet et des réseaux
sociaux a tout changé. Les personnes concernées ont pu s'exprimer
alors qu'elles croyaient être des cas isolés. Après la campagne
« Me too », les femmes victimes d’abus sexuels ont
souhaité raconter leur histoire. A leur suite, d'anciennes
religieuses se sont mises à publier le récit de leurs abus.
L'intérêt que cela a suscité est assez nouveau. Le 5 février, le
Pape François a évoqué les cas « d'esclavagisme sexuel »,
du fondateur et de clercs, mis en lien avec la dissolution, en 2013,
de la branche dissidente des sœurs contemplatives de Saint Jean par
Benoît XVI dont le courage a été salué. Il s'agit d'un signal
fort à destination de tous les majeurs vulnérables concernés par
de multiples abus.
Quelles
relations entretenez-vous avec les autorités de l’Église
catholique ?
Je suis
catholique pratiquante et engagée dans la pastorale de l’animation
liturgique. Pour le compte de l'association, nous sommes en lien avec
Sœur Véronique Margron, Présidente de la Conférence des religieux
et religieuses de France (CORREF ). Nous souhaiterions, à l’avenir,
pouvoir coopérer davantage avec les Evêques et leurs services
dédiés, tels que le Service Accueil-Médiation
pour la vie religieuse et communautaire ou le Bureau des dérives
sectaires.
Quels
seront vos prochains objectifs ?
La 5ème
édition des journées Sentinelle aura lieu vendredi 22 février à
Paris (1). Sr Véronique Margron interviendra, ainsi qu'une ancienne
religieuse victime. Mgr Thibault Verny, évêque auxiliaire de Paris,
doit également prendre la parole. Par la suite, nous souhaiterions
être auditionnés par la Commission Sauvé (2). Si l'association a
réussi à faire du bien, ne serait-ce qu'à une seule personne, elle
aura atteint son but.
Propos
recueillis par Philippe Clanché.
(1)
« Quelle réponse apporter aux abus sur majeurs ? »,
14h30-20h, Atelier du Verbe, 17, rue Gassendi 75014 Paris. Réunion
publique. Accès gratuit sur inscription. Rens : 01 45 45 29 40
ou contact@sentinelle-asso.org
(2) La
Commission d'enquête indépendante sur les abus sexuels sur mineurs
et personnes vulnérables commis au sein de l’Église (Ciase),
présidée par Jean-Marc Sauvé, se met en place à l'initiative
conjointe de la Conférence des évêques et de la CORREF. La
compétence de Sentinelle s'étend, outre les abus sexuels, aux abus
de faiblesse définis à l’article 223-15-2 du code pénal.