Depuis plusieurs années, le
CLPS s’interroge sur les établissements scolaires privés hors
contrats (El Mountacir, 2006). Nous résumons
ici la communication de Jean-Yves Radigois, Ph. D. présentée à la
journée d’étude du CLPS à Arches (88), le 17 mars 2012, sur
les rapports des inspections académiques, leur consultation par le
citoyen, leurs modalités (déroulement, intervenants, contenus),
une analyse et des pistes méthodologiques.
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2002-2012: dixième anniversaire du CLPS |
Le législateur par la loi
n° 98-1165 tendant à renforcer le contrôle de l’obligation
scolaire a voulu que soit vérifiée l’effectivité du droit à
l’instruction des enfants, conformément à la Convention
internationale des Droits de l’enfant. Nous avons demandé
31 documents, plus la synthèse des 14 écoles Steiner de
1999. La construction et le contenu de ce rapport a été étudié
dans d’une section particulière. Nous en avons reçu 28, provenant
de 15 établissements scolaires, couvrant 14 départements
de Métropole et produits sur 12 ans.
1 –
Les difficultés d’accès à ces rapports
Il s’agit de documents
administratifs communicables au titre de la loi du 17 juillet 1978.
Pour les 2/3, il fallut cependant saisir la CADA. Nous constatons, au
vu de la commande de l’État, que le délai de réception des
documents est inversement proportionnel au contenu et à la densité
desdits rapports: plus le document est riche et structuré, plus sa
communication est aisée.
S’agit-il alors d’une
méfiance institutionnelle à l’égard du citoyen ou une
appréhension pour aborder ces sujets ? Nous pensons aux travaux
sur les réticences des autorités préfectorales chargées des
groupes à dérives sectaires (Civade, 2009).
L’auteure l’explique par un manque de temps des cadres, un choix
des tâches basé sur la sélection des informations (peu de
victimes, peu d’intérêt gouvernemental) face à une problématique
complexe, voire risquée, et des moyens de traitement mal identifiés.
Cependant, ici le travail est
sensé déjà effectué puisque nous n’en sollicitons que la
communication. Les explications de Civade doivent être complétées.
L’institution semble produire les mêmes stratégies d'évitement
que les institutions médico-socio-éducatives dans certains
contextes (Radigois, 2011).
2 –
Analyse des rapports
Les rapports,
d'intérêts forts inégaux, se déclinent entre quarante lignes et
quatre pages. Celui sur les écoles Steiner en comprend huit, mais
intègre 14 établissements. Ainsi, la moyenne se concentre autour de
moins de deux pages par rapports.
Les rapporteurs.
Ils sont habituellement rédigés par un inspecteur de l’Éducation
nationale, parfois accompagné par un médecin ou un conseiller
pédagogique, voire un psychologue scolaire.
La durée des inspections
n’est précisée que quatre fois. Elle se déroule entre deux et
quatre heures.
Les visites se
produisent soit inopinément, soit sur rendez-vous. Cette
information, pourtant importante lors de suspicions de carences
éducatives, n’est pas précisée sur 25 rapports, hormis les
14 établissements Steiner où elles furent concomitantes et à
l’improviste.
Le descriptif des locaux,
le contrôle des commissions de sécurité et des vaccinations sont
quasi systématiques.
Les effectifs et le nombre
de classes sont décrits pour treize des quinze
établissements visités. En général, le primaire reçoit entre
38 et 47 élèves et le secondaire plus tôt entre 85 et
124 élèves.
L’instruction dispensée.
Trois cas de figure se rencontrent.
Parfois, un fonctionnement
atypique reste proche ou conforme sur le fond aux orientations
légales. Les modules des apprentissages ne suivent pas tout à
fait l’ordre habituel ou les quotités horaires des matières sont
différentes. Parfois, les diplômes des enseignants ou de la
direction sont inadaptés à leur mission. Des améliorations sont
souhaitées, le contenu des matières doit être recadré.
Parfois, un environnement
institutionnel et pédagogique inapproprié occasionne des
inquiétudes. Il peut s’agir d’une insuffisance
ou d’une absence d’apprentissage en lecture, langue, mathématique
ou sur l’histoire, la géographie ou les sciences. Parfois, il
n’existe pas de manuels scolaires ou de calendrier de progression
des apprentissages, peu de travail sur le développement de l'esprit
critique et de l'argumentation.
Parfois, des évolutions
apparaissent lorsque sont mis en place un suivi pédagogique et
une exigence de mise en conformité des locaux. L’exemple de
l’école de F… est à ce titre particulièrement intéressant à
suivre à travers six inspections en quatorze mois. Au début, le
climat éducatif et les orientations pédagogiques inquiètent, les
enseignants sont peu diplômés. Le programme officiel est méconnu.
Il n’apparaît pas d’objectif sur les acquisitions de
connaissances, ni de carnet individuel de suivis dans des classes.
L’inspecteur exige une mise en conformité immédiate. Cela inclut
les issues de secours, mais aussi les suppressions des brimades comme
le bâillonnement de l’enfant, la ligature des mains et la mise en
place des enseignements obligatoires. Cette étape produit des
moments de blocages. Un an après, le dernier contrôle constate que
les pratiques disciplinaires vexatoires paraissent prohibées, les
langues étrangères ont été introduites, un effort est réalisé
en EPS, mais pas en TICS pour des raisons de coûts. La direction de
l’établissement a été changée et les enseignants renforcés.
Selon la psychologue scolaire, le comportement des enfants correspond
à celui qui est rencontré dans tout établissement.
Le contexte éducatif
est, par contre, très rarement décrit sauf au hasard de
détails. Par exemple, une école insiste sur la discipline et
le silence. Dans un autre exemple, un rapporteur note une forte
stéréotypie des dessins de la classe.
Deux périodes, deux regards.
Les rapports ne se distinguent pas par l’origine géographique, le
type d’écoles inspectées ou leur appartenance. Nous n’avons
trouvé qu’un seul facteur discriminant : la période. Sur
douze ans, nous percevons nettement deux époques.
Sur la période 1999 –
2004, la question d’une classification secte versus non-secte est
latente. Les conclusions tentent de trancher ce point. Toutefois, les
formulations sont dressées sous forme de questions, d’hypothèses
et les propos restent flous affirmant à la fois que l’établissement
n’est pas tout à fait une secte, mais qu’il pourrait s’en
rapprocher ou en ressembler.
Sur la seconde période de
2005 à 2012, les termes de secte ou de sectaire apparaissent
rarement. Il s’agit d’un état des lieux et d’observations, de
conseils pédagogiques, voire des visites répétées pour un suivi.
Dès lors, le contenu des rapports est plus élaboré et le dialogue,
avec ces exigences, se construit entre les inspecteurs et
l’établissement. La démarche tente une normalisation afin de
prévenir, une situation éventuelle de danger pour la santé, la
sécurité ou la moralité d’un mineur ou si son éducation ou son
développement physique, affectif, intellectuel ou social sont
compromis (Code civil art. 375). La loi est affirmée, les processus
potentiellement problématiques sont étudiés pour obtenir une
conformité.
Nous pourrions distinguer ces
deux époques en disant que l’on passe d’une observation de
l’atypie et de l’étrange, classant en secte ou non-secte un
établissement, à une approche professionnelle sur l’instruction
offerte aux enfants et les conditions de son accueil, même si le
regard reste souvent hâtif et succinct.
3 –
Des pistes méthodologiques
La communication d’Arches
discute et suggère trois orientations principales.
Une personne-ressource.
Comme pour les institutions médico-socio-éducatives (Radigois,
2008), nous suggérons de mettre en place au sein de l’institution
une personne-ressource, c’est-à-dire susceptibles d’offrir, si
besoin, aux inspecteurs, juridiquement compétents, un soutien
technique et informatif en appui de leur intervention (droit
ordinaire).
Des formations
opérationnelles et pragmatiques sur les processus
d’emprise, de dérives et d’abus psychologiques et les biais
rencontrés par les professionnels lors d’interventions en ces
contextes : choc interculturel (Cohen-Émerique &
Hohl, 2004), troubles implicationnels (Alföldi,
1999), pièges du terrain religieux et phénomènes de groupe
très intense (Derocher, 2006), (Radigois,
2008) aux risques d’impasses comme la banalisation, la
dramatisation, les erreurs par méconnaissance ou une fascination
d’une contre-culture, inapproprié dans une telle mission.
Les dogmes pédagogiques ou ceux
du fondateur doivent aussi être interrogés, non pour leurs récits
ou leurs croyances (liberté d’opinions ou de religion), mais comme
une grille de lecture de la carte conceptuelle qui « pénètre
profondément des aspects aussi divers que les relations avec la
famille, les concepts éducatifs, l’instruction, des choix
culturels, des interdits sportifs, alimentaires ou médicaux. [Cette
carte] ne s'appuie pas sur des arguments culturels ou médicaux, mais
sur l’interprétation dogmatique de dirigeants-référents »
(Radigois, 2011, p. 286) ce sont donc les effets
de ces doctrines, éventuellement néfastes, qu’il nous convient
d’interroger.
Le contrôle des connaissances,
ne devrait-il pas aussi explorer la question de la socialisation des
enfants à l’intérieur et à l’extérieur de l’établissement.
Il s’agit en effet d’observer également si l’enfant rencontre
un isolement social ou géographique en communauté très fermée,
mais aussi, situation plus fréquente, l’isolation que Derocher
commente largement, c’est-à-dire une séparation symbolique
doctrinale, internalisée par l’individu qui vit dans le monde
ordinaire (Derocher, 2008).
Un véritable rapport
d’expertise basé sur les compétences et expériences des
inspecteurs. Nous ne sommes pas ici sur un débat pédagogique.
Un tel travail ne s’effectue pas en une ou quatre heures et
devrait nécessiter plusieurs jours d’expertise. Le document final
devrait être largement plus conséquent pour permettre le recul,
l’évaluation, la discussion entre pairs et des préconisations
avec un calendrier. De ce fait, les rapports pourraient décliner la
commande, les contacts (les choix retenus, les modalités), la durée
de l’expertise, les personnes rencontrées et les modalités des
entretiens, un état des lieux factuels et détaillés des sujets
explorés, les lectures et procédés d’investigations, des
analyses, des suggestions et des préconisations détaillées.
Travaux cités
Alföldi,
F. (1999). L'évaluation en protection de l'enfance. Théorie et
méthode. Paris: Dunod.
Civade,
S. (2009). Le phénomène sectaire en Bretagne, obstacles à la prise
en charge. Master 2, Psychologie sociale et communauté de la
Santé. Rennes: Université de Rennes 2, Haute Bretagne.
Cohen-Émerique,
M., & Hohl, J. (2004). Les réactions défensives à la menace
identitaire chez les professionnels en situations interculturelles.
Cahiers Internationnaux de Psychologie Sociale(61), pp. 21-34.
Derocher,
L. (2006, octobre 28). Écoles illégales. Et les droits des enfants,
eux? La tribune.
Derocher,
L. (2008). Vivre son enfance au sein d'une secte religieuse.
Québec: Presse de l'Université du Québec.
El
Mountacir, H. (2006, avril). Les établissements d'enseignement privé
hors contrat : Analyse des rapports d'inspection des services
académiques. Pouvoir dire non. Bulletin du Cercle Laïque de
Prévention du Sectarisme, pp. 6-14.
Radigois,
J.-Y. (2008, Automne). Quand le travailleur social intervient dans un
contexte à caractère sectaire. Criminologie : Les organisations
dites sectes, les lois et la société, 41(2), pp. 31 - 52.
Radigois,
J.-Y. (2011). Parentalité et évaluation socio-éducative en
contextes sectaires. thèse de doctorat en éducation, Faculté
d'Éducation, Université de Sherbrooke (Québec), Institut de
Psychologie et Sociolgie Appliquée, Université Catholique de
L'Ouest, Angers (France).
For English-speaking readers
Study
of one of the French government tools for child protection
against
cultic abuses: inspection reports of private schools with
no State contract.
Jean-Yves Radigois, Ph.D.
U.
C. O., Angers, France
Introduction
On
December 18, 1998 France passes a law to strengthen its control over
compulsory education. The goal is to protect children against a cultic hold. The following year, a
ministry circular by the (General
Direction of
Social Action) la
Direction Générale
de l'Action Sociale (2000-501)
emphasizes the need for government
control when children are homeschooled or educated in establishments
without a State contract with
the National Education.