La Cour européenne au secours des gourous
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La Cour européenne des droits de l'homme a rendu, le 31 janvier 2013, trois décisions qui sanctionnent le système juridique français pour manquement à la liberté de religion, garantie par l'article 9 de la Convention européenne. Il est reproché au droit français de refuser aux mouvements sectaires un privilège fiscal accordé aux religions. Celles-ci, dès lors qu'elles ont une association cultuelle, bénéficient en effet d'une exonération pour les dons manuels effectués par les fidèles.
Deux des requérants, l'association du temple pyramide et les Chevaliers du Lotus d'Or sont les éléments d'un ensemble plus connu sous le nom de secte du Mandarom. Jusqu'à leur dissolution en l'été 1995 pour renaître sous la forme d'une Religion universelle de l'unité des visages de Dieu, ils s'étaient donné pour mission ici-bas de construire à Castellane des temples destinés à devenir le lieu de culte d'une nouvelle religion, l'"Aumisme". Le troisième requérant est l'Eglise évangélique missionnaire, elle même issue de l'Eglise évangélique de Pentecôte de Besançon. Ces trois mouvements ont été qualifiés de mouvements sectaires par le rapport parlementaire Gest Guyard de décembre 1995.
Dans les trois cas, la Cour européenne sanctionne la pratique française de taxation d'office de ces dons manuels faits aux mouvements sectaires et contraint les autorités à rembourser plus de quatre millions d'euros à ces mouvements. L'énormité de la somme devrait d'ailleurs susciter la réflexion, si on la compare au faible nombre des adeptes de chacun des ces mouvements, environ 2000 pour le Mandarom et "entre 500 et 2000" pour l'Eglise évangélique (rapport Gest-Guyard).
Le précédent des Témoins de Jéhovah
La décision se présente comme la mise en oeuvre d'une jurisprudence inaugurée avec l'arrêt Association les Témoins de Jéhovah du 30 juin 2011. A l'époque, la Cour avait estimé que le redressement fiscal infligé aux Témoins de Jéhovah pour taxer les dons des fidèles constituait effectivement une ingérence dans la liberté de religion. Pour exercer son contrôle de proportionnalité, elle a tenu compte du montant considérable du redressement, plus de quatre millions d'euros, et du fait que disposition du code des impôts fondant ce dernier (art. 757 cgi) ne mentionnait pas formellement les associations parmi les personnes morales contraintes de déclarer ces libéralités. La Cour en a donc déduit que la créance de l'Etat était "imprévisible" et donc disproportionnée dans la mesure où elle a eu pour effet "de couper les ressources vitales de l'association, laquelle n'était plus en mesure d'assurer concrètement à ses fidèles le libre exercice de leur culte".
Les trois décisions du 31 janvier 2013 appliquent cette jurisprudence, de manière encore plus rigoureuse. Elles ne font plus allusion au montant du redressement, important ou non, mais se bornent à affirmer que l'article 757 cgi, tel qu'il était rédigé à l'époque des faits, contenait une menace "imprévisible" de redressement fiscal.
Cette perspective conduit à s'interroger sur les suites de cette décision. Les autorités françaises vont elles demander le renvoi devant la Grande Chambre ? En tout état de cause, la décision actuelle pose problème, et il faut peut être se souvenir qu'une décision de la Cour européenne s'impose aux Etats membres sur le fondement de la Convention qui en impose le respect. Au-dessus, se trouve encore la Constitution.
Dans les trois cas, la Cour européenne sanctionne la pratique française de taxation d'office de ces dons manuels faits aux mouvements sectaires et contraint les autorités à rembourser plus de quatre millions d'euros à ces mouvements. L'énormité de la somme devrait d'ailleurs susciter la réflexion, si on la compare au faible nombre des adeptes de chacun des ces mouvements, environ 2000 pour le Mandarom et "entre 500 et 2000" pour l'Eglise évangélique (rapport Gest-Guyard).
Le précédent des Témoins de Jéhovah
La décision se présente comme la mise en oeuvre d'une jurisprudence inaugurée avec l'arrêt Association les Témoins de Jéhovah du 30 juin 2011. A l'époque, la Cour avait estimé que le redressement fiscal infligé aux Témoins de Jéhovah pour taxer les dons des fidèles constituait effectivement une ingérence dans la liberté de religion. Pour exercer son contrôle de proportionnalité, elle a tenu compte du montant considérable du redressement, plus de quatre millions d'euros, et du fait que disposition du code des impôts fondant ce dernier (art. 757 cgi) ne mentionnait pas formellement les associations parmi les personnes morales contraintes de déclarer ces libéralités. La Cour en a donc déduit que la créance de l'Etat était "imprévisible" et donc disproportionnée dans la mesure où elle a eu pour effet "de couper les ressources vitales de l'association, laquelle n'était plus en mesure d'assurer concrètement à ses fidèles le libre exercice de leur culte".
Les trois décisions du 31 janvier 2013 appliquent cette jurisprudence, de manière encore plus rigoureuse. Elles ne font plus allusion au montant du redressement, important ou non, mais se bornent à affirmer que l'article 757 cgi, tel qu'il était rédigé à l'époque des faits, contenait une menace "imprévisible" de redressement fiscal.
Par cette jurisprudence, la Cour écarte, sans d'ailleurs en examiner le bien-fondé, la pratique française qui vise à dissocier la secte de la religion, et qui permet ainsi une lutte globale contre les dérives sectaires.
Religion et mouvement sectaire
La Cour est manifestement inspirée par une conception anglo-saxonne de la liberté de religion, qui considère comme religion tout groupement qui se proclame comme telle. De fait, la notion de "dérive sectaire" ou de "mouvement sectaire" est tout simplement écartée par la Cour, comme si la religion était tout simplement une secte "qui a réussi".
Le droit français raisonne très différemment. La loi About-Picard du 12 juin 2001 ne fait aucune référence à la dimension religieuse des groupements ou aux croyances qu'ils professent. Peu importe que les adeptes croient en un Dieu, un gourou, voire auVajra Triomphant comme le Mandarom. Ce n'est pas la qualification de secte qui entraîne les condamnations pénales, ce sont les condamnations pénales qui entraînent la qualification de mouvement sectaire.
Les infractions pénales qui s'analysent comme des dérives sectaires peuvent être celles du droit commun, comme l'escroquerie ou l'abus de faiblesse. Mais la loi de 2001 créée aussi un délit spécifique de "manipulation mentale" qui se définit comme le fait de "créer, maintenir ou exploiter la sujétion psychologique d'autrui". Cet arsenal juridique a notamment permis la condamnation de l'Eglise de Scientologie pour escroquerie en bande organisée, car ce groupement vendait, fort cher, à ses adeptes, une mystérieuse machine baptisée "électromètre" censée leur permettre d'accéder à la sérénité en se libérant des éléments mentaux négatifs (CA Paris, 2 février 2012).
Quant au statut fiscal, il est conditionné, en droit français, par la création d'associations cultuelles, qui ont exclusivement pour objet l'exercice d'un culte. Aux termes de la loi de 1905, les groupements qui constituent des associations cultuelles doivent avoir une activité qui ne porte pas atteinte à l'ordre public. A ce titre, leur création est soumise à autorisation préfectorale, et l'autorité publique vérifie que le groupement ne se livre à aucune activité illégale, notamment les infractions destinées à lutter contre les mouvements sectaires. C'est seulement une fois que l'association cultuelle est constituée que le groupement peut bénéficier de dons manuels exonérés d'impôt.
Que va devenir la lutte contre les dérives sectaires ?
De toute évidence, la Cour ne considère pas que la lutte contre les dérives sectaires soit un objectif d'intérêt général de nature à justifier une ingérence dans la liberté de religion. On est évidemment surpris d'une telle décision qui fait bien peu de cas de l'autonomie des Etats en matière religieuse. Souvenons nous en effet, qu'il y quelques jours, le 15 janvier 2013, elle a rappelé que la question du port de signes religieux ostensibles relève de la compétence de l'Etat.
Cette jurisprudence risque d'avoir des conséquences considérables dans le domaine de la lutte contre les dérives sectaires. Les autorités françaises ont en effet adopté un système de lutte globale, qui permet de poursuivre ce type de mouvement, aussi bien à travers les infractions de droit commun qu'il commet qu'à travers le contrôle de sa situation financière. Ce principe n'a d'ailleurs rien d'original. Les policiers américains ne sont-ils parvenus à faire condamner Al Capone pour fraude fiscale ? Plus près de nous, le droit interne, mais aussi différentes conventions internationales, appliquent le principe selon lequel la lutte contre le terrorisme ne peut être efficace que si elle s'accompagne d'une lutte contre son financement.
Désormais, il convient de lutter contre les dérives sectaires, sans s'intéresser à leur financement, sans s'interroger sur le fait que des groupements de quelques centaines d'adeptes parviennent à leur extorquer des millions d'euros. Pour les encourager dans cette louable activité, il convient même de leur accorder un privilège fiscal. Nul doute que les gourous, les grands mamamouchis et autres escrocs vont pouvoir réciter quelques prières pour remercier la Cour européenne, et en profiter pour soutirer quelques euros supplémentaires à leurs adeptes.
Cette perspective conduit à s'interroger sur les suites de cette décision. Les autorités françaises vont elles demander le renvoi devant la Grande Chambre ? En tout état de cause, la décision actuelle pose problème, et il faut peut être se souvenir qu'une décision de la Cour européenne s'impose aux Etats membres sur le fondement de la Convention qui en impose le respect. Au-dessus, se trouve encore la Constitution.