La société anthroposophique organise de nombreuses conférences en
son siège près du jardin du Luxembourg à Paris. Afin de parfaire
notre connaissance de ce milieu, nous avons assisté à l’une
d’elles. L’objectif était de mieux connaître le comte Fritz von
Bothmer, l’inventeur de la gymnastique qui porte son nom.
Le siège de la Société reproduit en maints endroits,
l’architecture chère à Rudolf Steiner. Dès l'entrée, des lignes
asymétriques; de même dans la salle de conférence, jusqu’au
pupitre du conférencier, on observe les mêmes formes. L’accueil
est cordial, et il faut bien le reconnaître, nulle insistance. Une
responsable de la société présente la conférencière, et annonce
une réunion pour les défunts.
La conférencière présente en introduisant son propos la différence
entre deux disciplines, l'eurythmie, qui repose sur l’influence des
sons sur le mouvement, et cette gymnastique qui s’efforce de voir
comment l'esprit se lie au corps. Une gymnastique qui aurait eu un
rôle déterminant dans la création de la première école Waldorf
Fritz von Bothmer a compté dans la saga de cette
mouvance, il est issu d’un milieu militaire, et lui-même fut
pensionnaire dans une pagerie royale, en gros une école militaire.
Puis il a incorporé l’armée de Bavière. Au début du XXe siècle,
il a compté des amis dans le courant artistique du Blaue
Reiter, il a découvert le philosophe
Nietzsche, et s’est rendu compte en le lisant qu’il pouvait
penser par lui-même.
Sa propre mère avait rencontré les cercles de la théosophie. Il a
participé aux combats de la première guerre mondiale, où il a été
gravement blessé. Après la guerre, dans une période de révoltes
ouvrières il senti qu’il ne pouvait pas faire tirer sur ses
concitoyens, et a commencé à chercher un travail ailleurs que dans
l’armée. C’était la période où Steiner militait pour la
tripartition sociale. C’est la période où la doctrine
anthroposophique devient centrale dans la vie de Bothmer. En 1922, il
démissionne de l’armée, assiste à une conférence de Steiner
qu’il rencontre le soir dans un entretien. Steiner lui conseille d’
aller visiter écoles et orphelinats.
Il aurait été frappé lors d’un stage dans une
école Waldorf : « ici l’esprit vit,
on écoute les enfants, les enfants sont au centre ».
Et Steiner lui demande de développer physiquement les enfants à
côté de l’eurythmie.
D’après la conférencière, Fritz von Bothmer se détache à ce
moment-là de son « karma passé », celui de la génération de
militaires dont il est issu. Il se laisse travailler par le ressenti,
et tente de faire partir le mouvement de la dynamique de l’enfant,
de sa joie de bouger. Il se dit animé de l’amour de l’enfant, et
ressent les « forces subtiles » qui viennent de ces derniers vers
soi.
C’est la conscience qui pour Bothmer permet de tenir debout. Il
distingue trois plans dans l’équilibre de la personne, le plan
horizontal, qui permet de percevoir la beauté du monde, le plan
sagittal, et le plan frontal. La position debout est pour lui la
position morale de l’être humain, ne parle-t-on pas de maison de
redressement ou d’un caractère un peu tordu. La gymnastique
Bothmer présente ainsi une succession de redressements et de chutes,
à chaque chute correspond un redressement. Elle comprend 35
exercices qui font corpus. Vers la fin de la vie les exercices se
portent vers le haut comme s'ils préparaient le passage de la
personne vieillissante au monde spirituel.
La situation politique se dégradant, des enfants et enseignants des
écoles Steiner sont déportés. La conférencière lie antisémitisme
et antianthroposophie. La fédération qui unit les écoles Waldorf
essaye de poursuivre leurs activités dans le cadre des écoles
pilotes tolérées par le régime nazi ; ses dirigeants vont voir
Rudolf Hess pour avoir une dérogation en ce sens, mais se rendent
vite compte que ce ne sera pas possible.
Bothmer répand ses techniques en Angleterre, aux
Pays-Bas, au moment de la déclaration de guerre, il demande sa
réintégration dans l’armée, sa requête est acceptée mais il
décline car il ne veut pas être versé dans les réserves comme
l'armée le lui propose en
réponse à sa requête. Il décède en novembre 1941 d’une tumeur
pulmonaire, soignée dans une clinique anthroposophique.
Comme d’habitude, nous avons tenté de refléter la tonalité de
cette conférence tout en évitant soigneusement le parti pris.
Avouons que le dernier quart d’heure fut plus difficile, car
lorsqu’on est pas disciple de cette doctrine, certaines notions ne
sont pas toujours claires au premier abord. Nous espérons avoir avec
le maximum d’honnêteté rendu compte de cette rencontre publique
et payante mais destinée bien entendu avant tout aux disciples.
L'intervenante donne sur un site dédié à cettegymnastique (http://www.c-possible.org/cp.cp?CPDoc=1800527) un détail
sur son parcours, sur sa rencontre avec l'anthroposophe qui l'a
formée : « Ma rencontre avec elle a
déterminé ma démission de l’Education Nationale et mon
engagement sans faille dans un domaine où presque tout était à
faire en France ».