Lors d’un récent billet, nous avons évoqué une procédure judiciaire en Belgique à l’encontre de l’organisation des témoins de Jéhovah. Le tribunal de Gand a rendu son jugement.
Rappelons que nous avions évoqué deux postures . La première implique que l’État doit simplement s’abstenir de toute ingérence dans les droits des personnes physiques et morales placées sous sa juridiction. En d’autres termes ne se préoccuper en rien des pratiques des organisations religieuses qui échapperaient à sa compétence et n’exercer aucun contrôle en ce domaine. A l’inverse la seconde posture impose aux pouvoirs publics de veiller à ce que des violations des droits de l’homme n’interviennent pas entre personnes privées, physiques ou morales ; donc ici de s’assurer que les pratiques d’un groupe, quelle que soit sa nature ne soient pas constitutives de telles violations à l’encontre tant de leurs membres que des personnes qui décideraient de s’en éloigner.
Nous avons indiqué que nous nous rallions à cette seconde position, plus exigeante en matière de respect des droits de l’homme.
Le tribunal de Gand à également adopté cette posture en condamnant l’organisation des TJ au profit des parties civiles, auquel s’était joint UNIA, auparavant nommé centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme. Ce jugement a été publié sur le site de cet organisme officiel, nos lecteurs peuvent le retrouver : il comporte pas moins de 52 pages … en langue néerlandaise. Nous avons vérifié auprès dudit organisme qu’il n’en existait aucune version dans notre langue, et nous sommes résolus à utiliser un traducteur payant en ligne. Nous n’allons pas reproduire la totalité de ce document (1h30 de lecture si on ne lit pas superficiellement).
Bien évidemment, l’organisation des témoins de Jéhovah nie à l’État toute légitimité pour porter la moindre appréciation sur ses pratiques internes. Ce au nom des dispositions pertinentes de la Convention européenne des droits de l’homme . « Le devoir de neutralité et d'impartialité de l'Etat en matière religieuse La défenderesse fait valoir dans ses conclusions que si le tribunal devait déclarer les charges prouvées, cela constituerait une violation du devoir de neutralité et d'impartialité de l'Etat et des articles 9, 10 et 11 de la Convention européenne des droits de l'homme. Article 9 CEDH (droit à la liberté de religion) (…) La défenderesse fait également valoir dans ses décisions que les poursuites et les accusations portées contre elle sont en violation de l'article 10 de la CEDH et que le tribunal devrait adopter une attitude neutre et impartiale au regard de ces droits garantis également. Le droit à la liberté d'expression est un droit universel dont le respect doit être étroitement surveillé.(…) (1) L'usage religieux de l'exclusion est un usage interne à l'église sur lequel les tribunaux n'ont aucune juridiction (2) »
Mais la justice belge a donné satisfaction aux parties civiles. Nous avons signalé que les prescriptions nous semblaient très dures : par exemple, « elle et sa famille sont privés de toute forme de respect de dignité humaine à cause des témoins de Jéhovah et de sa propre famille (…) En raison de la politique d’exclusion, leurs enfants ont également été privé de contacts normaux avec leurs grands-parents » (…) L'ensemble de ces déclarations montre qu'après l'exclusion (quelle qu'en soit la raison, y compris l'éloignement des réunions, un nouveau partenaire qui n'est pas Témoin, une nouvelle conviction religieuse, une dépendance à l'alcool, etc.), les personnes dénoncent surtout le fait d'être évincées par les membres de la famille et les amis et d'être exclues des célébrations (familiales) ».(3)
Il est également question de pressions : «… Les témoins de Jéhovah essayent de les convaincre sous pression de redevenir membres des témoins. Certains d’entre vous ont peur de quitter l’organisation par craindre de perdre leurs familles et leurs amis et/ ou leurs conjoints et/ ou d’être ignorés par leurs connaissances». (3)
Autre type de pression : « un croyant qui entrent en contact avec une personne exclue ou retirée lui-même exclu. Une personne peut être exclue pour chacun car n’en autorisé. Par exemple, je connais une famille qui a rejeté son fils parce qu’il était gay ». Ou encore : « cette politique d’exclusion est donc fondée que sur une croyance différente il sert intimidation pour vous forcer à revenir ».
Le juge d’Outre Quiévrain se réfère donc à la loi belge contre les discriminations de 2007 , aux articles pertinents de la Convention européenne des droits de l’homme, qui n’érige pas les libertés de conscience, d’expression, et d’association en absolus, mais apporte des limitations liées notamment aux droits et libertés d’autrui et aux nécessités d’une société démocratique , à la protection de la morale et de la santé publique, etc... Il en déduit que la liberté d’expression peut être soumise à des limitations si les idées émises appellent à la la discrimination .
Le tribunal invoque même la notion de harcèlement, qui porte atteinte à la dignité de la personne. « La notion de harcèlement telle que visée à l'article 21 est expliquée à l'article 4, 10° de la loi anti-discrimination, plus précisément : " un comportement non désiré lié à l'un des critères protégés qui a pour objet de porter atteinte à la dignité d'une personne et de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ".(4)
Et de conclure que l’isolement social des exclus est une atteinte à la liberté de croyance et surtout à celle d’en changer, garantie par l’article 9 de la Convention européenne et par la constitution belge.
Il note également que les articles 10 et 11 de la Convention relative aux libertés d’expression et de réunion ne sont pas un absolu . En l’occurrence, il y a un conflit de droits, car, poussé à l’extrême, dans ce cas d’espèce, l’absence de limitations à l’exercice de ces droits mènerait à une violation de la « vie privée et familiale », un terme qui reprend l’article 8 de la Convention européenne. « En ce qui concerne les faits qui lui sont reprochés, la défenderesse ne peut pas non plus se prévaloir de la liberté d'expression et de réunion (articles 10 et 11 de la CEDH), car ces libertés ne sont pas absolues et sont limitées par les libertés constitutionnelles et les libertés garanties par la CEDH à l'égard des citoyens et par le droit pénal, en l'occurrence la loi anti-discrimination. En particulier, par la manière dont la partie défenderesse propage la politique d'exclusion et l'enseigne aux communautés religieuses locales, une restriction inadmissible est commise au droit au respect de la vie privée, familiale et de famille des (anciens) membres des Témoins de Jéhovah, tel que garanti par l'article 8 de la CEDH et l'article 22 de la Constitution ».
«La défenderesse utilise un mécanisme de contrôle social pour imposer la conformité au sein de son groupe. La critique n’est pas tolérée et sanctionnée par l’exclusion de la communauté religieuse. En dissimulant cette intention criminelle sous le couvert des droits garantie de la liberté de religion et d’autres droits qu’elle a cité, la prévenu viole elle-même de manière flagrante le droit au respect de la vie privée, familiale et de la famille garantie par la CEDH (article huit CEDH), la liberté de religion et la liberté de changer de religion (article neuf), la liberté d’association ( article 11 de la CEDH) de la part de ceux qui ont été exclu ils se sont retirés de la communauté religieuse et l’interdiction de la discrimination (article 14 de la CEDH) »
Ou encore, autre citation : « l’incitation à la discrimination et à la perpétration de violences morales et de haine en raison d’une croyance différente ne peut être toléré en aucune circonstance dans notre société pluraliste. Le législateur a rendu ses comportements punissable par la loi. Il appartient donc aux pouvoirs judiciaires de mettre un terme aux actes commis par l’accusé. La défenderesse doit prendre conscience qu'en tant que membre de notre société démocratique, elle doit à tout moment respecter ses valeurs fondamentales, qui sont également protégées par le droit pénal. Il est également du devoir du pouvoir judiciaire de veiller à ce que la liberté de religion et la liberté d'expression ne soient pas utilisées abusivement pour commettre des crimes et infliger des dommages moraux irréparables aux personnes. Dans notre État de droit, la primauté du droit s'applique. Les règles religieuses ne sont pas au-dessus de la loi dans notre société. Le tribunal espère que cette affaire pénale fera prendre conscience à la défenderesse de la gravité des infractions qu'elle a commises pendant de nombreuses années et que cette affaire pénale l'incitera à adapter sans délai sa politique d'exclusion afin qu'elle s'abstienne de commettre de nouvelles infractions à l'avenir. »
Nous ne savons pas à l’heure actuelle si ce jugement fera l’objet d’un appel. Nous ne disons pas qu’une nouvelle jurisprudence serait née. Nous avons fait part d’un débat juridique, nous avons assez clairement donné notre point de vue : les droits de l’homme s’imposent dans les rapports entre particuliers. Nous avons assez souvent dit et répété que nous n’agissons jamais par haine. Notre seule boussole, c’est les droits de l’homme tel que nous les concevons
Bien entendu, si un appel devait être interjeté , quelle que soit l’issue, nous en tiendrons nos lecteurs informés avec impartialité. Mais nous sommes d’ores et déjà satisfaits de constater que notre conception de l’ordre public est partagée par des juridictions, fussent-elles étrangères. Et ce d’autant plus qu’elle serait aisément transposable en France, car notre pays, tout comme la Belgique, est partie prenante à la Convention européenne et soumise au contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme .
Si un contentieux de ce type devait échouer devant les Juges de ladite juridiction à Strasbourg , nous serions bien en peine d’en prévoir l’issue , tellement nous décelons de l’imprévisibilité dans sa jurisprudence.
Ici le lien vers l’article paru sur le site d’UNIA, partie civile dans la procédure.
G.KLEIN
cf les sectes et l'ordre public 2004 Presses universitaires de Franche-Comté