Le rapport de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a été remis le 25 avril 2013 au Premier ministre, dans une relative indifférence médiatique. A un moment où certains réclament un retour du religieux dans l'espace public, les instruments juridiques de la lutte contre les dérives sectaires apparaissent pourtant comme autant d'illustrations de la conception française de la laïcité.
Liberté religieuse et lutte contre les dérives sectaires
La Miviludes a été créée par un décret du 29 novembre 2002, dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi Picard-About du 13 juin 2001 "tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales". Comme le principe de laïcité, la lutte contre les dérives sectaires ne vise donc pas la croyance en tant que telle. Chacun demeure libre du choix de sa religion.
En revanche, la loi réprime ce qu'il est désormais convenu d'appeler les "dérives sectaires", c'est à dire les pratiques qui constituent des infractions. Les plus nombreuses sont évidemment celles du droit commun, comme l'escroquerie, la tromperie ou l'abus de confiance pour les atteintes aux biens, l'exercice illégal de la médecine, la privation de soins, l'abus d'état de faiblesse, voire les agressions sexuelles pour les atteintes aux personnes. A ces infractions déjà connues, la loi About-Picard ajoute la « sujétion psychologique" sur une personne (…) résultant de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement (…) ». C'est évidemment la manipulation mentale que le législateur vise directement dans cette formulation.
La Miviludes n'est pas directement chargée de lutter contre ces dérives sectaires. Elle exerce plutôt une fonction d'observation de ces dernières, afin d'informer les pouvoirs publics et de venir en aide aux victimes et à leurs familles. Son rapport offre donc un véritable état des lieux en matière de dérives sectaires.
Les personnes âgées, proies des mouvements sectaires
Le rapport de 2011-2012 insiste sur le fait que l'attention des mouvements sectaires se porte actuellement vers les 2 500 000 habitants de notre pays âgés de plus de quatre-vingt ans. Ils sont des proies convoitées, car ils ont généralement des revenus, et souvent un patrimoine plus ou moins important. Ils sont aussi des proies faciles, fragilisées par l'âge, la maladie, le deuil, l'altération des capacités physiques et intellectuelles. Les mouvements sectaires vont d'abord pénétrer dans l'intimité de la personne, puis s'efforcer de couper les liens familiaux autour de la victime, avant de susciter dons et legs à leur profit. Il s'agit donc le plus souvent d'abus de faiblesse, infraction de droit commun.
Si l'infraction existe, sa poursuite demeure difficile, car il est difficile de pénétrer dans la sphère privée des personnes âgées pour vérifier qu'elles ne font pas l'objet de sollicitations sectaires. En l'absence d'une famille proche et vigilante, les pouvoirs publics ne sont guère fondés à intervenir, et les pratiques d'abus de faiblesse demeure largement ignorées.
Observations empiriques
Les observations de la Miviludes demeurent empiriques, et elle reconnaît ne pas disposer de statistiques fiables sur la réalité de ces dérives sectaires. Son propos s'appuie essentiellement sur les plaintes des victimes et sur les observations des responsables de maisons de retraite, qui ont quelquefois bien des difficultés à déceler le mouvement sectaire derrière la sympathique association de bénévoles désireux d'aider les personnes âgées.
Cet empirisme ne doit pas être compris comme une limite à l'efficacité de la Miviludes. Au contraire, le rapport montre que son audience est de plus en plus large et que son activité est de mieux en mieux connue de la population. Durant l'année 2011, elle a reçu 2 283 saisines, soit une augmentation de plus de 25 % par rapport à 2010. Et sur les huit premiers mois de 2012, la tendance s'est confirmée avec 1 860 saisines, soit un accroissement de 22 % par rapport à 2011. Un sondage Ipsos publié en juin 2011 montre d'ailleurs que 44 % des Français connaissent la Miviludes, contre seulement 26 % l'année précédente.
Quels sont les motifs de cette embellie ? La Miviludes fait état d'une politique de communication plus développée, notamment dans la presse. Mais il faut bien reconnaître que la publicité donnée aux rumeurs relatives à la fin du monde, soi-disant prévue pour le 21 décembre 2012 par le calendrier Maya, a certainement contribué à faire mieux connaître les dérives sectaires. Sur ce plan là au moins, la fin du monde, même si elle n'a pas eu lieu, aura servi à quelque chose.
Le rapport de l'USCIRF
Ce succès tranquille de la Miviludes doit certainement être mis en relation avec lerapport publié moins d'une semaine après, par l'US Commission on International Religious Freedom (USCIRF) créée par l'International Religious Freedom Act de 1998(IRFA). A dire vrai, ce second rapport a trouvé davantage d'écho dans les médias français, qui ont insisté sur le fait que nos amis américains critiquaient une politique française trop peu respectueuse de la liberté religieuse. N'avons nous pas l'outrecuidance de refuser le port du voile intégral dans l'espace public et de lutter contre les dérives sectaires ? Sur ce dernier point, le rapport américain est formel. A ses yeux, le droit français stigmatise des groupements religieux qui se trouvent qualifiés de sectes dans un sens très péjoratif. Le système français crée ainsi "un climat d'intolérance qui conduit à une discrimination aussi bien officielle que privée contre ces groupements".
On se serait tenté de demander à cette question de quoi elle se mêle.. Ou peut-être de créer une autre commission chargée d'étudier les traitements inhumains et dégradants aux Etats Unis, notamment la peine de mort. Mais il suffit d'aller voir la composition de cette US Commission on International Religious Freedom pour comprendre les motifs de ses positions. Cette "commission fédérale indépendante" est certes composée de personnalités désignées par le Président des Etats Unis et le Congrès. L'étude de leur CV, qui figurent sur le site, montre cependant qu'elles sont, pour la plupart, des représentants des principaux mouvements religieux actifs aux Etats Unis. Rien de surprenant, dans un pays qui ignore la notion de laïcité, dont 92 % de la population se dit croyante, et qui a quelques difficultés à imposer l'enseignement du darwinisme à l'école. Mais au nom de quoi cette commission américaine donne t elle à notre pays des leçons de liberté religieuse ? Une question qui pourrait être posée à nos amis américains.