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jeudi 22 novembre 2018

RETOUR SUR LES RECENTS AVIS DU COMITE DES DROITS DE L'HOMME: BABYLOUP, VOILE INTEGRAL

Nous avons rendu compte récemment de deux avis du comité des droits de l’Homme des Nations unies. Le premier concernait le licenciement d’une salariée de la crèche Babyloup qui avait refusé de se rendre à son travail sans son voile. Le second avis concernait des femmes qui s’étaient pourvues devant cette instance internationale pour contester des amendes qui leur avaient été signifiées du fait du port du voile intégral.

Dans un premier temps, nous jugeons indispensable, et ce sera l’objet du premier point, de préciser dans quel cadre juridique ces avis ont été rendus.

En second lieu cet article permettra de relier ces avis entre eux et de réfléchir sur le décalage entre la conception française de la laïcité et celle des experts internationaux.

Pour ce faire, un court rappel historique est nécessaire.



Qu’est-ce donc que le comité des droits de l’Homme des Nations unies ?




Dès le mois qui suivit l’armistice du 8 mai 1945, se tint une importante réunion dont l’aboutissement fut la charte des Nations unies; à cette occasion, il fut prévu qu’une déclaration universelle des droits de l’Homme serait rédigée. Effectivement, ses deux principaux concepteurs furent le français René Cassin, le juriste de la France libre et Madame Roosevelt, veuve du président américain. Elle fut adoptée le 10 décembre 1948. Mais elle n’avait pas d’effet contraignant, c’était une très belle déclaration d’intentions, toutefois, aucun mécanisme ne venait sanctionner une violation par un État des principes énoncés.


C’est pourquoi fut prévue la rédaction de pactes internationaux qui en reprendraient les principes mais en rendraient l’application obligatoire à l’encontre des Etats membres de l’ONU. Ces pactes mirent une trentaine d’années à voir le jour. 
 

Ici, une petite digression s’impose pour faire un détour par la protection européenne des droits de l’Homme. En effet, sans attendre, des Etats européens avaient décidé dans les années suivantes de créer une organisation d’États européens dédiée aux droits de l’Homme et à l’environnement, le Conseil de l’Europe (qui ne présente aucun point commun avec l’Union européenne, sinon l’espace partagé à Strasbourg).



Les Etats membres de ce Conseil de l’Europe signèrent une convention européenne des droits de l’Homme, qui comprenait peu d’articles dédiés à l’énoncé des droits (parfois en termes identiques à la Déclaration de 1948), la majeure partie du traité étant consacrée aux procédures. Ainsi était créée la Cour européenne des droits de l’Homme. En fait s’il y avait peu d’articles dédiés à l’énoncé des droits, c’est parce que les rédacteurs de ce traité avaient conscience de la diversité des traditions juridiques au sein de l’espace européen. N’étaient fixés que des grands principes dans lesquels, précisément au-delà de ces traditions diverses, tous les Etats membres pouvaient se retrouver. Ce qui impliquait une certaine marge d’appréciation laissée à chaque Etat dans la mise en œuvre de ces droits. Les juges de la cour européenne, restaient indépendants des Etats dont ils étaient issus.


Après cette indispensable digression sur la Cour européenne des droits de l’Homme revenons à l’ONU ; ce n’est que près de 30 ans après la signature de la déclaration que fut signé le pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le traité comporte lui-même des droits, mais de manière beaucoup plus détaillée. Un comité des droits de l’Homme est nommé, composé d’experts juridiques en droit international et chargé de surveiller l’application par les Etats membres de l’ONU de ce pacte qui donne donc une force obligatoire aux grands principes énoncés dans la déclaration de 1948. Tout particulier qui a épuisé tous les recours dans son pays peut saisir ce comité (comme il peut saisir la cour européenne des droits de l’Homme).


La différence: le comité contrairement à la Cour européenne ne rend que des avis, ce qui implique non une force obligatoire, mais une pression sur les états qui pourraient violer les droits de l’Homme.


Dans les faits, ce comité rend publics ses avis. Concernant la France, il a admis l’interdiction chez nous du lancer de nain, il a refusé une requête du sieur Faurisson (récemment décédé, nous n’allons pas nous en émouvoir outre mesure), il a été saisi pour le Belarus d’entraves à la liberté de manifester des opposants, et il a donné tort à l’Etat. Pour la fédération de Russie, il n’a pas condamné l’attitude de l’État face aux allégations de mauvais traitements évoqué par un détenu, en revanche, il avait donné raison à un défenseur des droits de l’Homme qui s’était pourvu devant lui, se plaignant de harcèlement.


Disons le d’emblée, il ne nous semble pas, bien au contraire, que le contrôle par un groupe d’experts indépendants de l’application des textes internationaux de protection des droits de l’Homme puisse être critiqué. En matière de droit fondamentaux, nous ne jugeons pas défendable un souverainisme en cette matière (pour le souverainisme en général, c’est totalement extérieur à l’objet statutaire de notre association).
 
En revanche, nous pouvons nous interroger et c’est ce que nous ferons dans le point suivant, sur cette incompréhension par nombreux d’experts internationaux, parfois hors de l’enceinte de ce comité des droits de l’homme, de la conception française de la laïcité.



Les experts internationaux et la conception française de la laïcité



Après la rédaction de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, Clermont Tonnerre, dans une déclaration qui a fait date, affirmait qu’il fallait tout accorder aux juifs comme individus, mais rien en tant que nation.


Était-ce une préfiguration de la conception française de la laïcité, voire de la vie en société ? Toujours est-il que la conception française, à laquelle nous nous rattachons, accorde une grande importance à l’individu. Serait-ce à dire que les communautés à l’intérieur de la nation n'existeraient pas? Sans doute pas, mais cela signifie quand même que la liberté individuelle de conscience revêt une grande importance, ne figure-t-elle pas comme des principes directeurs de la loi de 1905, dès son article 1 ?


L’une des particularités du droit français est précisément la recherche d’un équilibre entre les droits de l’individu et ceux des communautés. Ce n’est pas le cas partout, même en Europe.


Est-ce à-dire qu’il faille clouer au pilori les autres régimes juridiques en Europe dans le monde ? Sans doute pas, mais, si nous voulons que notre régime de laïcité soit compris et adopté, nous pensons nécessaire de redoubler d’efforts pour discuter et persuader.


Pour revenir aux Nations unies, un rapporteur spécial sur l’intolérance religieuse, Monsieur Amor, émettait des réserves sur les politiques de lutte contre le sectarisme, et craignait un réveil de l’intolérance religieuse. Une des femmes lui ayant succédé à ce poste, Madame Asma Jahangir, dans un de ses rapports, critiquait explicitement l’attitude française, considérant les membres de sectes en France comme des victimes de discrimination. Nous avions exprimé notre désaccord avec elle, mais aussi du respect: après avoir quitté son poste à l’ONU, elle était revenue au Pakistan où elle avait été assignée à résidence car elle était depuis son plus jeune âge une militante des droits de l’Homme. Elle avait été vice-présidente de la fédération internationale des droits de l’Homme.


Lorsqu’elle était assignée à résidence, nous avions exprimé le souhait qu’elle soit libérée, tout en déplorant et en nous interrogeant sur l’incompréhension entre des militants si courageux par ailleurs et nous, laïques français, tellement préoccupés par la défense de ces droits. Aussi nous ne sommes pas étonnés par les récents avis du comité des droits de l’Homme des Nations unies. 
 

Une crèche associative fonctionne avec des règles similaires à celle du service public : elle accepte tous les publics sans discrimination, mais le personnel doit rester discret sur les convictions profondes qui animent chaque salarié. De nombreux allers et retours entre juridictions ont été nécessaires pour clore cette affaire dans l’ordre juridique français.


Dans les cas les plus récents, des femmes ont sollicité l’avis du comité des droits de l’Homme car elles avaient été verbalisées,les forces de police constaté qu’elles étaient revêtues du voile intégral. 
 

Dans tous les cas, n’auraient-elles pas eu la possibilité de se pourvoir devant la cour européenne des droits de l’Homme ? Effectivement, cette possibilité leur était offerte, mais la Cour avait déjà rendu des arrêts qui n’allaient pas dans leur sens : pour la crèche, on pouvait se souvenir d’un arrêt rendu lors d’un litige entre une ressortissante helvétique et la Suisse : les juges avaient donné une interprétation peu flatteuse du sens du voile islamique, pour parler vite. Pour ce qui concerne le voile intégral, saisie par des Françaises qui n’avait pas encore été verbalisées, la juridiction avait estimé que les dispositions adoptées en France entraient dans le cadre de la marge d’appréciation laissée aux Etats.


A l’inverse, les experts du comité des droits de l’homme des Nations unies ont jugé que les mesures prises en France n’était pas proportionnées à l’objectif que s’était assigné notre pays. Ils ont estimé que la salariée ne s’était pas vu interdire à bon droit le port de son voile sur son lieu de travail, la mesure étant jugée disproportionnée par rapport à l’objet de l’association gestionnaire de la crèche. De notre côté, nous pouvons nous demander si des établissements scolaires ou éducatifs à caractère religieux fondamentaliste n’imposent pas des contraintes vestimentaires à leurs agents. Dans ce cas, cela reviendrait à interdire en France une association qui voudrait se soumettre aux mêmes règles que les agents du service public : la discrétion sur les convictions personnelles des salariés, mais l’ouverture à tous les publics sans discrimination. Il faut noter que l’interdiction signifiée au personnel de manifester ses convictions profondes ne figurait pas dans les statuts de l’association gestionnaire, mais seulement dans un règlement intérieur. Peut-être des statuts plus explicites permettrait-t-il à une association d’éviter un si lourd contentieux ?
 
En revanche, en ce qui concerne le voile intégral, tant devant la Cour européenne que devant le comité des droits de l’homme des Nations unies, la France avait fait valoir l’importance du visage découvert qui favorise la communication et le vivre ensemble. Pouvons-nous nous permettre d’émettre une opinion ? Est-ce que la dissimulation totale de l’individu et notamment du visage ne serait pas une source de dépersonnalisation qui irait à l’encontre du principe de dignité humaine ? Un principe que toutes les juridictions admettent pour fonder une décision en droit. Observons quand même que nous ne prenons nullement ce parti pour des raisons liées à la religion, chacun restant totalement libre de croire ou de ne pas croire, mais uniquement pour des raisons liées au respect de la personne. Surtout que notre lecteur ne se méprenne pas : jamais nous ne nous nous référerons à une laïcité teintée d’hostilité à la religion musulmane à à l’instar d’un journal en ligne prétendument laïque mais dont l’hostilité viscérale à l’Islam ne peut même plus dissimuler une xénophobie exacerbée.




Cependant concluons sur une note d’optimisme : récemment, en janvier 2018, la rapporteuse spéciale de l'ONU dans le domaine des droits culturels affirmait : «les initiatives culturelles et artistiques peuvent aussi défendre les valeurs de diversité, de laïcité, d’inclusion, de tolérance, d’égalité des sexes, de droits de l’homme et de paix par les thèmes qu’elle choisissent d’aborder».



Pour persuader les acteurs publics du niveau le plus local ou niveau international de la pertinence de notre conception de la laïcité, pour les persuader aussi de la même pertinence dans notre action de prévention du sectarisme, les deux étant étroitement liées pour nous, il nous faudra faire preuve de patience et de persuasion; sûrement pas d’agressivité ni d’arrogance et encore moins de la certitude d’incarner la lutte du bien contre le mal.



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