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mercredi 21 octobre 2020

TRIBUNE LIBRE: un courrier de Catherine Picard


 

 



La dilution de la Miviludes: transformation ou suppression à terme ?



Vernon, octobre 2020.




Après un engagement d’une vingtaine d’année de travail sur les sectes et la défense de leurs victimes, je me devais de faire le bilan alors que je me suis retirée de la présidence de l’UNADFI. Il est triste et amer.

C’est la transformation de la MIVILUDES en sous service d’un Comité au sein du ministère de l’Intérieur qui m’amène à remonter le temps pour tenter une explication au désengagement de l’Etat face aux sectes. J’ai opéré un relevé factuel qui me semble significatif de la désagrégation du sujet secte. J’ai certainement omis des faits mais tout texte est amendable.

A ce jour je n’ai pas de propositions mais je sais que malgré tout il faut poursuivre ce que nos convictions et nos valeurs nous ont poussés à faire.



***


Le 5 octobre 1994, 48 adeptes de la secte de l’Ordre du Temple Solaire sont retrouvés morts en Suisse. Le 23 décembre 1995, c’est au tour de 13 adeptes et trois enfants de deux, quatre et six ans d’être assassinés en France.

En trois ans, de 1993 à 1995, il y aura eu à travers le monde pas moins de 155 morts (suicidés ou assassinés), victimes des activités néfastes de gourous.


Depuis vingt ans les associations de victimes de pratiques sectaires se débattaient pour faire reconnaître la dangerosité de ces groupes aux pratiques attentatoires à la dignité de leurs proches. Il aura fallu ces drames pour que leurs alertes, leur travail de recherche, leur compilation de documents internes de ces sectes, soient pris en compte par les pouvoirs publics. Des élus politiques ont relayé le fruit de trop longues années d’indifférence.


Les années 1995-2002 ont été les plus offensives contre les sectes. Un consensus s’est établi de gauche à droite pour donner à cette problématique une visibilité, un cadre législatif, une organisation dans les services publics pour mailler le territoire et informer les différents secteurs d’activité (santé, éducation, justice, services de police…).


A cette époque on appelait « un chat, un chat ». Le titre du premier rapport parlementaire illustre cette volonté de nommer au plus juste le sujet : Les sectes en France. Le gouvernement engageait sa responsabilité en créant auprès du Premier ministre, la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS). Une offensive clairement énoncée. En 2002, la MILS deviendra MIVILUDES, Mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires, un glissement sémantique qui a donné lieu à débat.


Les grandes sectes ont été plus distantes à défaut d’être plus discrètes, elles ont modifié leur contenu en ladaptant aux demandes de la société et de fait, leur manière de recrutement, et en s’aidant des nouvelles technologies de communication.

Leurs cadres et adeptes se sont éparpillés en créant à leur tour des groupes plus fluides, plus restreints et surtout en capacité de s’adapter aux modes d’une société qui s’individualise et se cherche : désir de bien être, soucis d’améliorer des traitements ou de les alléger, engagement militant contre les vaccins et la médecine, engagement politique dans le domaine de l’écologie… Baigné dans une atmosphère complotiste, il n’en fallait pas plus pour créer des officines tant lucratives que dangereuses pour les personnes les plus vulnérables.


A partir de 2004, on ne peut que constater un délitement du soutien institutionnel à toutes actions de vigilance vis-à-vis des phénomènes sectaires. . Le mouvement est lancé, le ton change au plus haut du sommet de l’État. Depuis les attaques n’ont cessé pour en arriver à la dislocation de la Mission, l’étouffement des associations par la coupe des subventions, l’abandon de la presse sur le sujet et sa banalisation dans la société. Que faire quand on perd à la fois l’action des pouvoirs publics, le soutien des médias et de la société dans un contexte ou d’autres fléaux se sont fait jour ?


C’est en 2004 que Nicolas Sarkozy affiche une réelle complaisance envers les mouvements sectaires, invitant même à la reconnaissance des « nouveaux mouvements spirituels ».1 La scientologie se frotte les mains, D. Gounord, porte-parole de cette « Église » auto proclamée, se félicite alors de la relation qu'elle est parvenue à instaurer avec l'État ; de même une partie des sociologues des religions qui n’ont de cesse de nommer les sectes de « mouvements religieux » ou de « minorité de conviction ». Un contresens car peu de sectes se réclament d’être « religieuses ». Le lobbying auprès du chef de l’État a fonctionné, une interprétation de la liberté de conscience et de l’ordre public amène le ministre Sarkozy à écrire :« Je crois à la liberté individuelle : si les gens ont envie d’être témoins de Jéhovah, c’est tout à fait leur droit. Tant que leurs activités ne sont pas contraires à l’ordre public, je ne vois pas au nom de quoi on le leur interdirait »


Quid de l’intérêt porté aux victimes, de la reconnaissance de ce statut, de leur protection ? Cette conception très anglo-saxonne de la liberté , amène au débat sur le consentement et à la négation de la réalité du statut de victime sectaire.

Cette vision est le fruit de dix ans de lobbying sectaire et de pressions des États-Unis dont le Congrès épingle chaque année la politique française vis-à-vis des sectes dans son rapport.


En 2006 lors de la commission d’enquête sur les mineurs, Didier Leschi, chef du Bureau central des cultes au ministère de l’Intérieur du temps de Nicolas Sarkozy, admet qu’il accorde systématiquement ce statut cultuel aux associations de Témoins de Jéhovah, car "en l’état actuel de la jurisprudence, ils ont le droit de bénéficier du statut d’association cultuelle ".2

Il affirme "qu’il n’y a aucune preuve du danger encouru par les enfants chez les témoins de Jéhovah, et que le conseil d’état a déjà tranché cette question (...), qu’il ne voit aucun dossier de trouble à l’ordre public." 


Un autre personnage influent va soutenir le travail de sape qui s’engage, le pasteur de Clermont, président du Conseil de la Fédération protestante de France. En 2007 il se fait le chantre de la liberté religieuse, «et à plus forte raison de celle des autres ». « D’abord parce qu’il n’est pas tolérable que notre pays puisse mettre en cause cette liberté qu’il garantit constitutionnellement, mais surtout parce que la liberté des autres, c’est inévitablement la nôtre. Quand la liberté de se réunir ou d’évangéliser, qu’il s’agisse des témoins de Jéhovah ou de groupes évangéliques, même très éloignés de nous, est mise en question, nous n’avons pas à hésiter ; demain il s’agira de notre liberté à évangéliser ou à nous réunir », fustigeant « l’incompétence de beaucoup d’acteurs publics quant à la gestion des cultes ». 

A la fin de son mandat il laissera la place au pasteur Claude Baty, de l'Union des Églises Évangéliques Libres de France. Comment s’étonner qu’un des leviers influents pour la disparition de la MIVILUDES soit le lobby évangélique, mouvement exponentiel ces dix dernières années.


En 2008, Emmanuelle Mignon, collaboratrice de Nicolas Sarkozy enfonce le clou et déclare que les sectes sont « un non-problème en France », évoquant notamment la Scientologie. Elle pointe du doigt la Miviludes en expliquant que le gouvernement allait la transformer "en quelque chose de plus efficace et en finir avec le bla-bla". Un nouvel organisme répressif, relié au ministère de l'Intérieur, pourrait voir le jour, « l'idée serait de rattacher ce nouvel organisme au ministère de l'Intérieur, afin de collaborer plus étroitement avec les services de police. Le reste doit relever de la justice ».

La ministre de la justice Michèle Alliot Marie se défausse : « Ce n'est pas à elle (la justice) de définir une politique, ni de mener des actions de répression. C'est le rôle des pouvoirs publics. Je dois assurer la liberté de croyance de tous », affirme-t-elle. Une illustration concrète de la « laïcité ouverte » qu'entend promouvoir Nicolas Sarkozy.


L’idée maintes fois amorcée de ce transfert au ministère de l’Intérieur, prend corps. Mais devant le tollé général, elle se transforme au profit de la création d'une entité unique de « défense de tous les droits » qui accueillerait également la Haute Autorité de lutte contre les discriminations. Le projet tombe à l’eau grâce à l’intervention du président de la MIVILUDES, le Préfet J-M. Roulet, ardent défendeur de sa mission auprès du Premier ministre et de son inter ministérialité.


Parallèlement, le gouvernement Sarkozy au motif de l’application de la RGPP (réforme générale des politiques publiques), dissout les Renseignements généraux et disperse ses effectifs dans différentes administrations. Cette dissolution a mis à mal l’ex Sous-direction « sectes » des Renseignements généraux. En effet, « du temps des RG, six personnes à Paris œuvraient à temps plein sur le sujet. En province, elles étaient une cinquantaine. Désormais, la SDIG se contente de trois fonctionnaires à Paris pour surveiller les sectes et on ne compte plus personne à temps plein dans les départements ». La diminution des effectifs qui l’accompagna – fut d’autant plus dommageable que les RG avaient, en deux décennies, significativement perfectionné leurs outils de connaissance du phénomène.


Lors du remplacement en 2014 de la SDIG par le Service central du renseignement territorial (SCRT), aucune référence explicite à la surveillance des sectes n’est mentionnée dans les missions du « nouveau » service. Le gouvernement Valls minimise à nouveau le sujet, la priorité est donnée à la lutte contre le djihadisme.


Ainsi il aura fallu 25 ans pour sensibiliser les pouvoirs publics au fait que les sectes œuvrent contre les intérêts de la République, en attaquant la laïcité, en bafouant ses lois, en exerçant des pressions fortes auprès de ses dirigeants, en malmenant des individus trop crédules. De même il aura fallu 25 ans pour que ces dirigeants reculent sur leurs positions concernant le phénomène sectaire.

Depuis le 15 juillet 2020, la MIVILUDES est rattachée au ministère de l’Intérieur et placée sous l’autorité du Secrétaire général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation…Une fusion préconisée dès 2017 par un rapport de la Cour des comptes. Pour rappel le budget de cet office était de 130 000 euros, le personnel est un personnel détaché de l’administration et les locaux sont ceux du Premier ministre.


La MIVILUDES devient une officine sans président, sans secrétaire général, dotée de la moitié de ses agents, la dilution parfaite avant sa disparition. Celle des associations de défense de victimes suivra à terme et 40 ans d’engagement de bénévoles ne seront plus que souvenirs.


Le Premier ministre Édouard Philippe en se désengageant, pressé par le Secrétaire général au gouvernement et quelques ministres, a abandonné la lutte contre les sectes et de fait les victimes. Les anthroposophes, les évangéliques, les Témoins et les scientologues seront venus à bout subtilement et patiemment d’un combat porté par la France contre l’obscurantisme, l’aliénation organisée et les abus de faiblesse de toutes sortes. Dont acte.


Catherine Picard.




1 N. Sarkozy, La République, les religions, l’espérance », éditions du Cerf, 2004.

2 Le Monde du 19 octobre 2006)


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